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Le dessin à sa nécessité en soi

SIMONE AUBRY BEAULIEU

Ce texte, rédigé par Annie Molin Vasseur, est tiré du livre intitulé Simone Aubry-Beaulieu publié par Les Éditions du Lion Ailé, 1982, pages 83 à 86.


Le dessin à sa nécessité en soi

APPROCHER du graphisme de Simone Aubry Beaulieu, ce peut être choisir de lire le fil intérieur du travail d'une femme, traçant et témoignant de quarante ans de rencontres et de vie. Durant toutes ces années Simone Beaulieu, à travers les différents pays, les différentes situations, rencontres et obligations où l'ont menée ses attaches diplomatiques, n'a cessé de rejoindre dessin et peinture. Il semble que son travail graphique a été le lien de permanence entre elle et le monde, comme lieu de passage initiatique, qui mènera la petite fille solitaire, attachée à reproduire les visages qui passent à la femme toujours attentive aux réalités extérieures, qu'elle rencontrera et transcrira.

Sa production graphique est très nombreuse, quelques sept cents dessins en témoignent: paysages, feuillages, fleurs, nus et surtout portraits. De son passage à l'École des Beaux-Arts, peu de traces conservées, mais bien plus de révolte pour un enseignement qu'elle jugeait alors sclérosé et académique, et dont la rencontre avec Borduas va faire évoluer son travail vers une recherche plus libre. Long travail solitaire aussi, même si la fréquentation de certains groupes de peintres, surtout à Paris, vont lui apporter des influences décisives. Matisse l'impressionnera pour la pureté de sa ligne et Picasso pour le goût de l'aventure et du jeu qu'il impose à son tracé. Deux tendances qu'elle transposera à sa façon mais qui resteront essentielles dans son cheminement. D'une certaine façon on peut dire que si ces deux influences majeures par rapport au travail graphique ne sont pas celles qui ont le plus marqué son travail de peintre, c'est que chez cette artiste, le dessin n'est pas là à titre de travail préparatoire pour ouvrir au tableau. Rares sont esquisses et croquis destinés à être peints.

Le dessin a sa nécessité en soi.

Il semble qu'il soit fait de la rencontre de deux contradictions. Témoigner d'abord du regard intérieur et là c'est l'enfant qui voit le monde à travers l'imaginaire que lui dicte sa solitude et qui en rend compte par la simplicité de la ligne en quête de pureté. Par ailleurs le monde extérieur s'impose dans sa complexité, voire quand ce n'est pas dans l'exubérance de certains paysages et personnages exotiques et amène un tracé qui s'épaissit, s'ombre, appelle à la peinture et se réalise sur le papier en larges taches d'encre ou de goudron. Ce que Simone Beaulieu appelle: «ma manière noire».

Rapport Moi/Monde, le dessin sera durant ces nombreuses années, son travail de continuité quand la peinture ne peut être réalisée, faute de temps, et que cette femme volontaire: «Je suis un bourreau de travail», utilisera les moindres moments disponibles pour retrouver son atelier. Travail d'urgence intérieure aussi, car elle aurait pu se contenter d'être présente dans ses activités extérieures. Là on peut être touché par le travail d'une femme qui a voulu conserver un regard simple sur le monde qui l'entoure.

Son travail graphique est avant tout figuratif et descriptif, alors que sa peinture, au départ de tendance cubiste, semble aller vers un travail plus abstrait et plus lyrique. Donc parler de son tracé, c'est dire l'importance de son regard sur le monde environnant qu'elle restituera objectivement. Elle y rencontre comme on l'a dit paysages, végétations et personnages. Ses portraits sont probablement ses dessins les plus représentatifs.

Simone Beaulieu a rencontré de nombreuses personnes, tant dans les milieux artistiques et littéraires que dans les milieux politiques ou dans les milieux les plus simples. Des «favellas» du Brésil aux salons des ambassades, en passant par les rencontres de cafés où discutent certains artistes, elle a été attirée par certains traits qu'elle a voulu rendre à la fois avec fidélité au réel et dont elle a voulu rejoindre le mystère. Quand on lui demande quels sont les critères qui l'amenent à dessiner certains portraits, et quelle est son approche tant psychologique que graphique, elle parle d'abord de la magie d'un visage, de son intensité et de son appartenance à un type humain particulier. Le résultat: des portraits présents, au tracé ferme, où le regard surtout est accentué. Portraits faits d'après modèles et parfois exécutés de mémoire, et donnant lieu alors à plus d'interprétation imaginative.

Au début, quelques portraits à l'aquarelle, peu nombreux et provenant surtout de l'exploration d'une technique à l'École des Beaux-Arts, en suite quelques portraits, rares également, faits au fusain. Très vite la rencontre avec le goudron amènera la dessinatrice à sa technique favorite. L'encre de Chine et le stylo-feutre viendront compléter ces mediums. Ces trois dernières techniques demandent au pinceau ou à la plume un trait ininterrompu qui ne peut être retouché. Le tracé à la ligne cerne le portrait sur l'espace blanc du papier. Parfois interviennent de légères touches d'huile pour préciser le regard, ou ourler de blanc le contour d'un visage. Parfois aussi un travail au tampon restitue ombres et reliefs. Certains de ces portraits marouflés accentuent alors dans un léger jaunissement des blancs, les beiges/bruns des plus clairs aux plus sombres rendus par le goudron, et composent ainsi une sorte de camaïeu.

Témoignages, ces portraits le sont quand ils nous restituent:

... les deux soeurs McCayne, dessinées à Montréal avec à la fois précision et liberté de la ligne, ... restent deux des dessins les plus importants parmi toute cette production.

D'une manière générale, on peut dire qu'à travers son oeuvre graphique, Simone Beaulieu est restée fidèle à elle-même, dans une approche figurative allant de la plus représentative à la plus imaginative de son univers. On constate dans son évolution (des années 1935 jusqu'à ce jour), un dépouillement et une affirmation du tracé, qui de par même son «itinérance», retourne aux sources de l'enfance; en quête de «la rigueur du blanc, du gris et du noir». Mais la peinture demande: «Je suis coloriste aussi».

«Je n'ai pas encore rejoint ce que je veux atteindre», dit aujourd'hui cette artiste, affirmant ainsi une recherche toujours vivante et modeste, où pourraient se retrouver, pense-t-elle, peinture et graphisme réunis dans un même espace, au rythme de la musique et du geste; et ceci dans un avenir qu'elle pressent très proche, maintenant qu'elle a retrouvé ses racines natales. Elle y voit des personnages énormes et imaginaires, mi-humains, mi-fantastiques, rejoignant la matière picturale. Souhaitons y retrouver ces regards ou le propre regard de Simone Beaulieu rejoint le regard des autres et le nôtre.

Annie Molin Vasseur



Paul Beaulieu, Montréal, 1941.
Encre de chine sur papier;
32 cm x 26 cm.



Henri de Montherlant, 1942.
Fusain sur papier;
37,5 cm x 28,5 cm.



Saint-John Perse, Washington, 1943.
Encre sur papier;
25 cm x 33 cm.



René Garneau, Ottawa, 1950.
Encre sur papier;
41 cm x 24 cm.



E. Ulrich, Provence, 1976.
Goudron et huile sur papier;
49 cm x 31 cm.




Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
Révisé le 5 février 2015
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