Mes racines / my roots

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Journal intime de 1919

Textes et documents personnels recueillis datant de 1919



  • Description du livre en question: de couverture dure brune 8,5 po par 11 po, d'un pouce d'épaisseur; écrit à la plume, encre violette, couvrant la période du 9 septembre 1918 au 20 juillet 1921

  • Description d'un album de couverture noire rigide de 9 1/4 " par 7" de 2" d'épaisseur comprenant un grand nombre de petits documents qui y sont collés et un texte écrit à la plume en caractères d'imprimerie par Jeanne Beaulieu



Entrée dans son album:

TOUS NOS MEILLEURS SOUHAITS DE BONNE ANNÉE!!!

POUR:
Mil neuf cent-dix-neuf - Charles A. Paquin


Entrée dans son livre:

Le 12 janvier

Je vais aujourd'hui à un «party» donné par Alice à l'occasion de sa fête. À son dire ce sera quelque chose de bien!!

Je mis ma robe de velours vert; j'arrivai vers 3.45 hrs. Une certaine demoiselle Gagnon y était déjà. Paul se tenait avec elle: ils semblaient assez intimes. Rosaire (cette jeune fille) avait une robe brune de soie, mal décolletée, et avec cela, un bien mauvais maintien. Ma foi! je n'eus pas aimé être dans sa peau! Paul portait un habit gris. C'était loin d'être «chic», mais je suppose que c'était suffisant pour plaire à des enfants (car il croit cela de nous: si jamais je peux lui prouver le contraire...!).

Peu-à-peu le salon se remplit. Les invités n'étaient pas fameux: les deux Lapointe et les deux demoiselles Trudeau, leurs cousines, n'avaient pas l'air distingué tout de suite; Antonia Baillargeon, sans fard (fort étonannt); Marie Thérèse Charbonneau avec sa robe courte aux genoux et ses talons hauts de trois pouces; le musicien, Monsieur Lefevre et deux autres garçons fort gênés, qui n'ont presque pas remué (excepté le musicien, bien entendu: il était en gage pour jouer des «rag-times» et il en jouait tant bien que mal, ... pauvre lui, comme il suait!).

Voici la liste des invités les plus «fashionnable»: - Célile Julien, elle avait une très jolie robe en serge grise, Thérèse Ouimet, une gentille robe en soie grise; Annette Houle qui a la coiffure, le regard, l'air d'une actrice: c'est une amie de Paul: je ne dois pas mal la juger, car il paraît qu'elle est une excellente chrétienne. Henri Chapleau, jeune homme fort élégant mais pas joli... Elle a reçu de jolis cadeaux. Le mien, un porte-mouchoirs en toile brodée était l'un des plus beaux.

Nous avons jasé, fait de la musique et dansé. Paul m'a demandé assez souvent: il danse bien mais nous tient trop près de lui; de plus, après le souper, il ne sentait que le vin (il y avait de quoi, aussi!) Henri Chapleau danse à ravir. C'est mon danseur idéal. Il se tient éloigné et conduit sans qu'on s'en aperçoive. Oh! s'il m'avait demandé plus souvent. J'ai aussi dansé avec la plupart des jeunes filles.

Ce fut ensuite le goûter servi sans cérémonie. Paul parla de Mademoiselle Ducharme, cousine d'Antonia, d'une façon peu flatteuse. Il s'en aperçut, s'arrêta court et dit: «Je crois que j'ai trop parlé.» - et moi d'ajouter: «Vous avez une preuve que le silence est d'or» et monsieur Deshotels: «Tiens, mon vieux, la vérité sort de la bouche des enfants!» - (moi, une enfant! l'insolent!! Faut bien être vieux garçon pour croire les autres si jeunes!) On passa des cigarettes. Tous et toutes en ont pris, mais toutes n'ont pas fumé. Les deux demoiselles Trudeau avaient l'air fort habitué, ce qui m'a bien étonnée. Thérèse a essayé mais s'est étouffée. Alors Alice, Cécile et moi que ne fumions pas, sommes passées au salon. Les autres ont suivi. Nous avons joué au mariage trompeur par deux fois: Paul m'a choisie et moi de même... J'ai trouvé Thérèse Ouimet excessivement sotte. Je crois que les garçons l'excitent au suprême degré. Pio, son ami, (je ne sais si c'est sérieux) l'a embrassée depuis ce moment bien près de six fois. Je ne la comprends pas du tout: à l'entendre, on croirais qu'elle est très sévère dans ses principes. Eh! mon Dieu! ses actes démentent ses paroles. Si la vue d'un jeune homme n'ayant rien d'extraordinaire lui tourne la tête à ce point, c'est qu'elle est peu solide! Avec ses raisonnements, ses proverbes et son langage emprunté, elle fait sottise sur sottise.

Enfin, mon Dieu! je vous remercie de tout mon coeur pour le plaisir que vous m'avez donné.



Le 25 janvier

Pauvre Thérèse qui ne savait pas ce que c'était que des jambons au Gayety. Nous étions chez Alice. Paul est arrivé et Thérèse lui a fait son souper... et sa cravate donc! «Tu ne l'as pas, laisse donc Cécile la faire!» J'ai ri pour en mourir.



Le 20 mars

C'est ajourd'hui le thé musical de Madame Létourneau. Elle a demandé quelques jeunes filles pour servir le thé. Cela m'a fait grand plaisir d'accepter. Mais bientôt cette joie s'est changée en la crainte de faire quelques gaucheries. Je suis si maladroite et si sotte lorsque je veux bien faire. Et tout concordait pour me maintenir dans cette crainte. Madame Gagné assurait que ce serait une très grande fête et par conséquent, je devrais être en grande toilette. J'ai été bien près d'y renoncer, mais finalement j'y suis allée, la tentation étant trop forte.

J'avais une robe de soie blanche que maman avait réparée très joliement et un chapeau en paille bleu-marin (il fallait garder nos chapeaux pendant la réception). Je ne paraissais pas trop mal, je crois, et à ce propos on m'a fait des compliments dont la moitié étaient de trop. La pensée de mettre des gants blancs m'obsédait: heureusement les autres jeunes filles n'en avaient pas et j'ai été délivrée de cette corvée.

J'ai vu Paul-Émile Létourneau: il aime beaucoup taquiner les jeunes filles, ce dont je me suis aperçue. «Êtes-vous en amour, me demanda-t-il». Moi, toute surprise d'une telle question, je fais mine d'avoir mal entendu, et je m'écrie: «Comment?» - Il répète et je réponds: «Pas encore, et vous?» - «Non, dit-il, moi jamais!» - Je me confondais en conjectures sur cette réponse et je lui aurais sans doute posé quelques questions indiscrètes, si le téléphone, que je déteste tant quand je dois me déranger pour y répondre, n'eût sonné. J'appris par maman que Paul était consomptif. J'aurais dû m'en apercevoir car malgré la grande chaleur, il est resté pâle tout le temps (Mais c'est bien moi qui connais les symptôles de ces maladies-là!).

Sévérine est langoureuse et nonchalante: je n'aime pas ce genre. Son ami, Robert Larivière est grand et pas joli, maigre du visage, hélas! non du ventre! Mais il est très courtois. Il regarde Sévérine tout le temps. Marcelle a été très gentille avec moi: elle est jeune, vive et gaie. Son ami, Auguste Décary, joua au piano «Soarnig» [?] de Schumann, mais franchement je n'ai rien entendu. Il est très aimable; il me raconta quelques jolies aventures qui lui sont arrivées au Couvent d'Outremont, son concert improvisé sur les impressions d'une jeune fille du pensionnat lorsqu'un jeune homme y vient: langoureux! puis celle du jeune homme; la veillée avec les élèves et l'arrivée soudaine Monseigneur Lepailleur: «Tiens, Tigusse, toi ici!», l'air de la Supérieure!! J'ai bien ri. - Léonide Létourneux a chanté quelques romances, jolies sans doute, mais que je n'ai pu entendre.

Le goûter était excellent: tout était bon, frais, bien servi.



Le 23 mars

C'est la fête de Gilberte: elle reçoit beaucoup de cadeaux. Moi, je me suis engagée à amuser les invitées, et pour cela j'ai demandé quelques-unes de mes amies! Voilà-t-il pas qu'Alice s'est fâchée contre Cécile parce que celle-ci ne la faisait pas danser. Quelle susceptibilité mal-à-propos! On voit qu'elle ne connaît pas grand' chose des usages; lorsqu'on vient pour distraire quelqu'un, on doit le faire!!



Le 4 mai, dimanche

La mère d'Alice est morte! Ah! que c'est affreux!! À 11 hrs, Cécile appelle Alice: Marie-Rose répond:«Elle est couchée.» - «Je voulais avoir des nouvelles de sa mère.» - «Elle est morte, il y a cinq minutes.» - C'est ainsi que nous avons appris cette triste nouvelle. Depuis près de 15 jrs, Madame Éthier était malade, mais l'on n'avait pas la moindre inquiétude. Et voici que ce matin, le Dr Brisset dit à Alice: «Maintenant, j'ai espoir de la sauver!» Alors, comme un éclair, elle vit que sa mère était gravement malade, elle eut peur, elle vit elle-même la possibilité de la mort. Chose étrange, au moment où on la rassurait, elle craignait.

Vers 9 ou 10 hrs Madame Éthier commenca à agoniser. Finalement on s'en aperçut et on envoya Paul & Pio, en auto, pour chercher une garde-malade. Lorsqu'ils revinrent, leur mère était morte, oui morte, sans avoir recouvert sa connaissance, sans avoir dit un mot à sa famille, sans avoir vu le prêtre! Oh! que c'est affreux!

En apprenant cela, Alice perdit connaissance. Son père la porta dans sa chambre. Je crois alors qu'on lui donna des calmants, car lorsque je suis allée la voir le lendemain, elle semblait assez perdue. Pio aussi perdit connaissance. Quel moment eut alors à passer Monsieur Éthier. Il allait d'une chambre à l'autre. Dans l'une il trouvait sa femme morte, dans la 2e, Alice qui revenait peu-à-peu; dans la 3e, Pio qui était entre la vie et la mort. Car on craignit beaucoup. Il demeura 1/2 hre évanoui, et 8 hrs sans parler. Paul, lui a mieux pris cela. Je crois qu'il y a un peu d'indolence dans sa nature.



Le 8 mai

Je suis allée les voir. Ils sont tous mieux. Alice a l'air blasé; elle parle sans larmes de sa mère, des funérailles et des évènements survenus. Pio est très pâle: il fait bien pitié, ce jeune garçon-là. À 15 ans, avoir une maladie de coeur très prononcé, voilà qui est peu engageant pour l'avenir! Marie-Rose est toujours insouciante: il semble que rien n'est changé dans sa vie: non, je ne la comprends pas, mais elle a beaucoup d'esprit. Paul, lui, est tout-à-fait bien. Son amie de Toronto est venue le voir: je trouve cela fort, elle a couché chez M. Éthier, mais enfin ce n'est pas de mon affaire, et d'ailleurs je crois qu'elle n'y voyait pas de mal, car elle est anglaise et par conséquent ses idées sont larges et ses manières libres. Leur cousine, Bertha Lafrenière y était: je l'aime beaucoup, elle a l'air si bon. C'est très gentil à elle de venir passer quelques jours avec eux. Leur tante Madame Pigeon s'y établira pour toujours, j'espère. Cependant, je ne les crois pas gens à s'éterniser sur leur douleur & malheur.



Le 16 mai -

J'ai vu Alice, elle n'est plus insouciante comme l'autre jour. Nous parlions des frères aînés: «Ici, tout ce que dit Paul vautr de l'or; c'est ainsi partout où il y a des fils aînés.» Je trouve cela étrange.



Le 19 mai -

J'ai téléphoné à Alice pour offrir mes voeux de fête à Paul. J'avais caché mon intention sous un autre prétexte, mais elle l'a devinée et s'en est moquée avec d'autres. Aussi maintenant, je ferai attention à mes paroles au sujet de Paul et à mes relations avec lui.



Le 24 mai -

J'ai passé une charmante journée quoique j'aie perdue $12. - Je suis allée au Gèsu avec Paul, Roland & Cécile pour voir jouer «Jeanne d'Arc», et j'ai eu un plaisir!! Ce n'est pas la séance qui m'ait tant intéressée!! Oh! Boy!

Je suis arrivée à 2.30 hrs au moment où la salle étant comble, les officiers de police fermaient les portes. Nous sommes retournés avec notre petit bonheur. Après avoir fait une marche dans l'Ouest (il faisait une chaleur écrasante, et j'étais vêtue d'une robe en serge bleu et d'un renard: je n'avais pas froid) nous sommes revenus au coin des rues Bleury et Ste-Catherine. Paul & Roland voyant les portes du Gèsu ouvertes voulurent y entrer à tout prix. Il fallut céder. Je n'ai jamais vu salle aussi pleine. Les allées elles-mêmes étaient remplies d'élèves. Roland se mit prêt d'une colonne, d'où finalement une dame en ayant pitié le prit sur ses genoux. Paul se plaça dans le poulaillier. Je tentai moi-même de m'y installer, mais il y faisait tellement chaud que j,ens suis partie: je demeurai en arrière. Vers 4.30 hrs, un groupe de jeunes gens arriva. L'un d'eux, le plus joli, que j'envisageai, m'ayant aperçue dit: «Si cette jeune fille avait une chaise, elle verrait bien mieux.» Comme de fait, il arrive avec une chaise et me dit: «Mademoiselle, je crois que si vous montiez sur cette chaise, vous seriez très bien.» - «Merci beaucoup.» - En effet, montée ainsi, je voyais mieux. Mais ces garçons restaient toujours près de moi et m'examinaient, et moi de même. De temps à autre, je leur souriais: enfin, j'ai bel et bien «flirter»... Mais ne voilà-t-il pas que Roland arrive en pleurant. Je lui en demande la cause: il ne répond pas. Alors, je suis descendue de ma chaise, et l'ai amené un peu à l'écart. Un jeune homme se présente: «Voulez-vous que j'aille le conduire?» Je me suis dit: «Dans le monde qu'est-ce qu'il peut bien me vouloir, celui-là?... et soudain, je compris. «Attendez un instant, Monsieur, je ne sais pas encore ce qu'il veut.» Je répète à Roland ma question: «Veux-tu aller à la chambre de toilette? - Sur sa réponse affirmative: «C'est bon, vous pouvez l'y conduire, Monsieur» ... et j'éclatai de rire -

J'attendis dans la salle; - lorsqu'ils revinrent, j'adressai à ce monsieur (Andrew Beaubien) mon plus joli sourire, et en partant, je lui dis: «Au revoir».

Mais Paul en avait assez - nous n'avons pas vu la fin de la pièce. Dehors, j'ai attendu quelques temps devant la porte du Collège, puis au coin de la rue Ste Catherine. Deux jeunes garçons, dont l'un est celui qui m'avait donné une chaise, Roméo Bergeron, surnommé le «Visage Pâle», m'ont suivie. Ma foi, il a l'air bien fin celui-là. Il est très blanc et imberbe, rand, mince, élégant & chic. Il a un grand nez et de belles dents. Il attendit lui-aussi quelques temps, tout en me regardant sans cesse. Avant de partir, il porta son gant à sa bouche (pour signifier un baiser) et l'envoya à mon adresse. L'autre, «l'Iroquois», aurait bien voulu savoir où je demeurais, mais j'ai tenu mon bout et il a dû partir.



Le 11 octobre

Il y avait au Gèsu une joûte de crosse entre les anciens et les élèves actuels. J'y suis allé avec Aliette.

Je n'aime pas ce jeu; il est tellement traître; on s'y donne des coups sur les bras, sur les jambes, sur tout le corps, enfin. Il est vrai qu'une loi ordonne de ne frapper qu'avec le nerf de la crosse; mais le plus souvent, je crois, c'est le bois qui fait l'oeuvre. Je me serais mortellement ennuyée, si Aliette qui est passable populaire au Gèsu n'avait été entourée sans cesse de plusieurs garçons: ainsi en ai-je connu quelques-uns! Mais je me suis tenue sur mes gardes, et me suis contentée d'observer plutôt que de parler: ainsi j'étais plus certaine de moi et de ma réputation. Ce qu'il faut se méfier de ces jeunes gens! Ils semblent très larges dans leurs idées, mais sont, en réalité, très sévères en jugeant les jeunes filles. Comme je confondais leur physionomie, Aliette a bien voulu me la retracer.

Errol Boucher

Rappelez-vous ce grand garçon portant un habit bleu marin et un melon noir; il a cheveux bruns, yeux bruns mais quelles dents! J'ai été sur le point de lui offrir une brosse à dents, (pas une moustache, il en a déjà une mais bien ce petit instrument à l'aide duquel le sexe laid trouve grâce devant nous, s'il en fait bon usage). Je vous l'ai dit, il a une petite moustache où les poils sont clairsemés. Il devrait se la noircir un peu: dans certaines circonstances, cela est permis! J'avais bien envie de le lui proposer. Vous devez bien penser qu'après une telle description de sa bouche, il ne soit pas bon à embrasser. Ce n'est pas moi qui m'en chargerais. Il a les yeux fins et vous regarde toujours en riant. Vous allez croire, mais à tort, que je regarde les hommes dans les yeux, car j'ai observé sur sa paupière un bouton noir, je ne sais quoi, qui a poussé là. Il a plus de sourcis que de moustache. «Soyez des enfants observatrices, a dit Mère d'Inquimbert hier en classe. Jeanne, suivons ses conseils!» C'est sa dernière année de Collège, je ne sais où il ira après, je lui ai déjà demandé faute d'imagination créatrice à lui conter quelques blagues, mais je ne m'en souviens plus. Nous l'avons surnommé «Marois».

Albert Brossard

Au tour du «Baron de la Haute Tourelle». N'est-ce pas qu'il est gentil, mon petit Albert? Ne dirait-on pas une maman fière de ses fils? Avec cela, il est plein de «fun». Il est tel que vous le voyez. Il entend que les femmes soient convenablement instruites: pas de latin, pas de grec, pas de géométrie, pas d'algèbre. De l'arithmétique, afin de pouvoir surveiller les dépenses de la maison. Beaucoup d'histoire, beaucoup de religion, il admet aussi la philosophie: «cette étude élève la femme, dit-il.» C'est tout l'opposé de son frère Roger.

Paul Désy

Un autre garçon que je pourrais recommander, c'est l'«Anglais». Vous avez pu en juger par vous-même. Il est joli (à mon goût); il a de bons yeux chocolats que je pourrais croquer en imagination car en réalité, je ne crois pas qu'un oeil soit bien ragoûtant! Monsieur ne parle que l'anglais depuis qu'il va au Loyola, mais ce que je trouve superbe, c'est qu'il a gardé ses «patois français»; singulier être que l'animal raisonnable. Mais je crois que vous lui préférez le type de Gaston Rivet. Ce n'est pas étonnant, ce futur docteur a des yeux, mais des yeux qui ont été cherché votre coeur, n'est-ce pas? N'essayez pas de nier, ce serait de l'hypocrésie!

Gaston Rivest

Je voudrais vous donner le plus de détails possibles sur Édouard de Chèvrefeuille. Ici je crois que vous seriez plus habile que moi, sondez bien votre conscience, qu'y trouvez-vous? Dans la comédie, Gaston est épatant, surtout avec une petite moustache. Cet huluberlu ne l'a pas gardée. Dieu! qu'il est bête (pardon!)!

La partie se termina vers 5 hrs: les anciens eurent l'avantage. À la porte de sortie, j'ai fait la connaissance du «Visage Pâle» que j'avais rencontré le printemps dernier. J'ai tenu mon sérieux pendant qu'Albert Brossard nous présentait l'un à l'autre; mais après cela, il semblait avoir tellement envie de rire que j'éclatai avec lui. J'ai fait une découverte surprenante: il a les yeux bleus.

Aliette, Raoul Delorme et Gaston Rivet sont venus me reconduire jusqu'ici. Je suis montée à pied avec ce dernier. C'est un brun, de haute taille et bien mis. Son langage soigné et correct trahi une bonne instruction. Il est intéressant, courtois et distingué, et ne semble pas fat, mais c'est un futur médecin...

J'ai bien aimé mon après-midi; cependant je crois que je n'y retournerai pas. En connaissant tant de jeunes garçons, on devient trop populaire; une autre chose, c'est que j'aime l'«essence» du caractère des étudiants, ce qui pourrait me jouer de mauvais tours, car je n'ai que 16 ans et encore deux années d'études très sérieuses à prendre!!



Le 25 octobre -

J'ai enfin connu deux des Messieurs Panneton. C'est au Club de Laval-sur-le-Lac qu'ils m'ont été présentés par leur soeur Jeanne. Celle-ci est une grande brune, mince, aux cheveux courts frisés dur, au teint pâle, aux yeux noirs, à la bouche petite, aux dents d'en avant rapportés; ne n'est pas une figure précisément expressive; mais les mouvements de la tête et de la bouche veulent dire bien des choses. Elle est tout-à-fait gentille et intéressante et se laisse facilement connaître. Elle a le caractère jeune, et l'est d'ailleurs, je crois. Ses frères Louis & Fernand sont courtois et distingués, deux des qualités que j'aime le plus à trouver chez le sexe fort. Ils ne sont pas fats mais très intéressants. Je vaudrais bien les connaître plus intimement.



Le 26 octobre -

Yvonne Benoît a donné un thé dans le but de connaître des jeunes gens. Ils étaient douze, nous étions onze jeunes filles. Je ne parlerai que des personnes les plus frappantes.

Lily Dussault: grande blonde mince aux yeux bruns, aux dents d'en avant rapportées. Elle n'est pas chic mais sa taille et sa gentillesse la font remarquer.

Jeannette Meunier: la plus chic des invitées; elle portait une robe en jersey de laine gris taupe brodée. Elle n'est pas jolie du tout mais tellement aimable et bonne.

Thérèse Lavallée: taille moyenne, gros traits, pas chic. Elle a dansé le «Chimmey» sans doute avec Paul Thibodeau: elle ne fait pas l'effet d'une jeune fille qui se respecte.

Thérèse Ouimet: était tout-à-fait affreuse dans sa robe rose archi mal-faite. Elle a été assez tranquille, mais Dieu! qu'elle sautait en dansant! Les Messieurs Gérard que j'ai vus mainte & mainte fois à Old Orchard. Ils dansaient bien tous deux. L'aîné cependant danse un peu à l'américaine quand il sait à qui il a affaire.

Ernest Décary laid comme on peut difficilement se l'imaginer. Il est de haute taille, bien soignée dans sa tenue, bien courtois & musicien dans l'âme.

Monsieur Marsau à qui j'ai trouvé une ressemblance avec Charles Lavergne. Il a l'air bon et danse très bien. Monsieur Grothé empesé au possible et dansant mal, est gros et court. À la fin fatiguée de lui, je l'ai refusé pour la danse.

Paul Guilbault demeure sur la rue McCulloch. C'est un très grand garçon, ayant une ombre de moustache, dansant bien et semblant distingué. Après Monsieur Marseau, c'était lui que j'aimais le mieux.

Monsieur Beaudry, sorte de carte de mode, de petit fancy à trois sous comme l'on en voit dans les faubourg, et paraissant avoir pris pour fin d'amuser les femmes: j'aime cela beaucoup.

Paul Thibodeau a l'air fin, mais quel type! C'est un second Pio Éthier, et dire qu'il n'a que 19 ans!

Yvonne avait une robe de velours bleu marine garni de marabou, ce qui n'était pas de très joli effet. Elle a l'air distingué et froid. Cela n'est pas du tout habile dans la conduite d'une soirée ni dans le service de la table. Sa soeur Germaine me fait l'impression d'une actrice, de Norma Falmage dont elle imite les airs et les manières. C'est une exaltée par le cinéma.

Je n'ai pas bien aimé ce thé; il y manquait de chic et était trop sans-cérémonie. - Comme la réception d'Antonia était loin!



Le 28 octobre

Depuis longtemps, j'entends parler de Créola Payette. Voici ce qu'Aliette en dit: «Je connais bien Créola: il y a deux ans nous étions au même pupitre. Elle a une réputation que je n'aimerais pas avoir. Elle traite tous les garçons comme ses frères... et ne se gêne pas pour les embrasser et s'asseoir sur leurs genoux...! Des choses que l'on ne ferait pas avec son propre frère, que j'ai vues de mes yeux! Je connais des jeunes gens qui ne peuvent dire d'elle deux mots de bien, et Paul Désy assure qu'être sorti avec elle lui a nui et que maintenant il ne la saluerait pas de peur de se compromettre.



Le 22 novembre

L'Université Laval, notre université canadienne-française de Montréal a brûlé cette nuit!! Il n'en reste que les quatre murs; les poutres en tombant endommagent considérablement le 1er étage, lequel a été préservé du feu. Les jeunes gens de ces temps-ci ont de la peine à faire leurs cours: c'était la conscription, maintenant c'est le feu qui les retardent.



Le 24 novembre

Aujourd'hui Aliette envoie un premier essai au «Quartier Latin». C'est Henri Letondal qui en est le sujet. Moi je suis critique et secrétaire.



Le 4 décembre

J'apprends ce soir du Père Robicaud prédicateur de la retraite des jeunes filles que c'est un péché mortel que de danser avec un jeune homme qu'on aime, de sortir de veiller seul avec lui, de l'embrasser en dehors de la présence des parents. Ceux-ci doivent veiller au salon avec leur fille lorsqu'elle est fréquentée.



Le 23 décembre

Annette Julien m'a demandée pour servir le goûter à son 5 à 7.- J'ai rencontré Hélène Morin, la jeune fille la plus étrange que j'aie jamais vue. C'est une grande blonde mince, aux yeux bleus, jolie en somme. Sa soeur est morte l'automne dernier en laissant deux jumeaux; eh! bien et ceci est un dévouement admirable, Hélène 26 ans environ, a pris sur elle la tâche énorme et fatiguante de les élever. Aussi jugez des idées qu'elle a sur le mariage! Pour elle, c'est une chose affreuse «Au moins, dit-elle, après ces deux enfants-là, je sais qu'il n'y en aura pas d'autres. Mais une fois mariée, ça ne s'arrête pas comme ça! Non! non! jamais je ne me marierais!»... «Si je me mariais, ce serait par raison, non par amour; de même on est certain de moins souffrir! Si notre mari ne nous fait pas belle façon, peu importe! on ne l'aime pas!» En celà, je ne peux l'approuver! S'il n'y a pas d'amour, comment supporter toutes les misères & les contrariétés de la vie conjugale?



Le 26 décembre

C'est la première fois que je suis allée à une grande soirée chez une amie: Francis Vanier. Elle était belle à croquer dans sa robe de satin bleu marin et tous les garçons auraient voulu lui faire la cour. Le fait est qu'ils n'y ont pas manqué et qu'elle prend cela comme un verre d'eau. Je ne m'y suis pas beaucoup amusée: il n'y avait que des anglais; jugez si c'était embêtant, moi, qui connais à peine cette langue! Pas de bons danseurs. Je suis revenue en auto et me suis alors amusée pour le reste de la soirée. On m'a reconduite la dernière: ainsi, en arrière avant moi, il n'y avait que quatre jeunes hommes: Tony Vanier me tenait par la main, c'est un flirt de premier ordre; il multiplie en anglais et en mauvais français les mots doux... J'ose à peine me l'avouer, mais j'adorais être avec ces jeunes gens. Personne ne me causait opposition! L'on ne s'occupait que de moi! J'étais au 7e ciel. Monsieur Mc Gar me faisait beaucoup penser à Gaston Rivet. Ce cher Gaston, je l'ai trouvé à mon goût et ça me chatouille un peu de voir qu'il a trouvé Thérèse gentille. Mais il y en a d'autres.

Je suis entrée à 3.20 hrs - Est-ce assez affreux?



Le 28 décembre.

Non! je n'aime pas Thérèse!

Je la trouve folle et ridicule avec sa devise: Tout ou rien! Comme si ne pouvant avoir la richesse, l'aisance n'est pas préférable à la pauvreté! Ne voilà-t-il pas qu'après m'avoir assuré hier que seul l'argent comptait, elle m'a dit aujourd'hui le contraire: l'amour et uniquement l'amour - et un peu d'argent, bien entendu, pour ne pas danser devant le buffet!

C'est un esprit systématique: elle généralise sans cesse, et juge trop vite, faussement presque toujours, la pauvrette! N'avait-elle pas décidé en sa petite cervelle que pour moi, il n'y avait «d'assez drôle» que «les hommes de profession» et que les autres étaient des sots?... Sans doute, j'aime les hommes de profession et beaucoup encore. Ils sont instruits, ont un certain cachet, quelque chose de plus délicat, de plus élevé qui ne peut manquer de plaire. Leurs conversations sont tellement intéressantes et intelligentes! Or l'intelligence est la caractéristique de l'homme - comment n'aimerais-je pas ceux qui l'ont à un degré supérieur et la perfectionnent sans cesse... Mais enfin, à défaut d'une profession, je prendrais un métier - moi je suis pour le milieu, l'aisance! Pourtant il me semble que j'aimerais ou détesterais à la folie. En cela, ce serait les extrêmes. Mais comment certifier? C'est tellement mal de haïr: il faut pardonner si l'on veut être pardonné. Et je n'ai pas encore aimé réellement...!

Elle se dit sérieuse. Je ne l'entends pas ainsi - Une jeune fille sérieuse est pour moi celle qui sait être & rester naturelle avec un jeune homme. AI-je tort de penser ainsi? Cette chère Thérèse est toute bouleversée par le sexe mâle: encore cette après-midi, elle se confondait en éclats de voix pour attirer l'attention de deux bons hommes de 17 ans!

Moi, j'ai la manie de préférer les jeunes gens plus âgés que moi. D'ordinaire, ils sont plus intéressants & sérieux & plus habitués aux usages mondains, moins naïfs... Sans doute, ces deux dernières raisons sont ridicules, et je pressens qu'elles me joueront de mauvais tours... Mais enfin!... À cet âge-là ils sont plus enjôleurs... je vois leurs défauts, mais...!

En tout cas, il faut que je prenne garde à toutes mes paroles avec Thérèse, quelle corvée.



Le 29 décembre

Je jase des autres, mais moi, comme je suis méchante! Je ne fais que ridiculiser les gens & médire d'eux! Ah que c'est mal! Mais il faut, oui il faut que je me corrige. C'est surtout avec Thérèse que je suis méchante. Je ne lui lance que des pointes. Avec Cécile & Alice, je parle contre celle-ci ou celle-là: eh! bien, cela doit finir!



Le 30 décembre.

Fernande & moi, nous nous sommes réconciliées avec Paul Morin. Nous avons dû prendre l'initiative: il paraitrait que ça devait se faire ainsi: je le saurai - Au fait c'était ridicule cette dispute sans cause. Nous étions à la patinoire et tout en jouant à la «tag» nous nous sommes adressés quelques paroles - Mais Jean Morin nous a à peine regardées: ça m'agace! J'aimerais tant savoir quel type il est - Je n'aime pas Charles-Auguste Paquin, et je ne veux nullement m'y attacher. Il est presque laid et n'a rien de joli, pas même les yeux. de plus, un défroqué... merci!

Le soir -

Si j'allais encore à une soirée comme celle-ci, je penserais avoir passé de joyeuses vacances. Ah! si quelqu'élève du Sacré-Coeur m'invitait! L'impromptu était organisé par Jeannette Meunier pour Lilie Dussault: celle-ci n'a pas paru surprise: elle s'en doutait, je crois. J'y ai rencontré des gens que je désirais connaître ou revoir depuis longtemps...

Arrivée l'une des premières, on a procédé aux présentations. Monsieur un tel... un tel... Monsieur Rivet. Brusquement je me retourne: Gaston était là devant moi me tendant la main en souriant. De plaisir & de surprise, j'éclatai de rire... Oui, c'est un enjôleur. Il vous regarde sans cesse avec des yeux qui vous pénètrent jusqu'au plus intime. Il a de plus, la parole facile et sait gentiment tourner un compliment. N'a-t-il pas entrepris de me convaincre de mon talent de pianiste d'après «certains caractères» distinctifs des musiciens qui suivant son «observation» existent chez moi... et tout cela, sans m'avoir entendue jouer, après une deuxième rencontre!! Je l'ai cru...

Il danse très mal et n'est pas du tout joli, mais il attire l'attention par sa taille, son visage pâle et ses cheveux de jais. Les yeux sont un peu rougis et sortis de leurs orbites, mais toujours chercheurs, toujours expressifs. Sa bouche est grande, ornée de dents très blanches, toutes séparées les unes des autres... comme un enfant, un enfant qui aurait grandi trop vite. Le fait est qu'il a peine à se tenir droit, mais il a le nez fort et les épaules larges comme un homme!

Je n'ai jamais été aussi surprise qu'en voyant Roméo Bergeron: ça m'intriguait de ne lui avoir jamais parlé. Il est dissipé comme un écolier en vacances! Il a une voix grave et un peu brusque qui surprend chez un jeune homme si frêle. Il a de très belles dents, celles de l'oeil sont longues, longues à n'en plus finir... et une petite bouche et des lèvres minces. Il n'est pas du tout timide et vous dira tout aussi facilement: vous êtes jolie que le contraire. Dieu! qu'il est distrait! il veut tout voir en même temps. À son dire, bien que son esprit soit ailleurs, il vous écoute... mais il arrive qu'on attende sa réponse durant cinq minutes!... Que ne se fait-il pas couper les cheveux!... J'ai cru comprendre qu'en prenant le punch avec une jeune fille, l'on s'engageait à la reconduire. Comme il s'éloignait de moi, juste au moment où il m'apprenait cette nouvelle question d'étiquette, je l'ai raillé. Mais en me voyant partir avant la fin de la soirée, comme il était fatigué peut-être eût-il aimé n'avoir rien dit: je lui ai rappelé ses paroles. Cependant il préférait attendre Aline Lajoie, type parfait de «Vamp»: cheveux blonds coupés et frisés et des yeux bleus, ayant l'expression la plus mauvaise qu'on puisse imaginer.



Le 31 décembre.

J'ai rencontré Jeanne Thibault accompagnée de Louis Panneton. Que j'ai envié sa place! C'est dire qu'on ne soit ni jolie ni élégante, si on appartient à la haute société, on a le privilège de sortir avec les gens les plus gentils de la ville! Ah! si je pouvais entrer dans leur cercle!








Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
Révisé le 5 février 2015
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