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Lettre du 9 août 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 9 août 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 9 août 1901
À Mademoiselle Attala Mallette Sainte Martine. Ma Bien-Aimée Attala,

C’est en vain que je m’évertue à faire comprendre à mon pauvre coeur trop rempli d’amour pour vous, qu’il serait mieux pour lui d’attendre à la semaine prochaine pour vous aller voir, le malheureux ne veut comprendre rien; il n’y a que vous qui pouvez le satisfaire, il n’aura de repos que près de vous, qu’en vous contemplant, qu’en s’abreuvant à la source de votre amour. J’ai honte de ma faiblesse, j’allais dire de ma lâcheté; tandis que vous n’aviez qu’un mot à dire pour me voir accourir auprès de vous, vous vous déclarez capable d’attendre encore une semaine; il vous est indifférent que ce soit demain ou samedi en huit.

Et moi qui dois entreprendre le voyage, moi qui suis un homme, je ne puis en dire autant, je ne puis plus attendre.

Ce n’est pas que vous m’aimez moins; c’est plutôt que vous êtes plus raisonnable. Je sens que je ne suis pas rusé, que mon arrivée, après une semaine d’attente serait bien mieux venue, mais je ne puis pas: de grâce ne m’en aimez pas moins. Et d’ailleurs ce n’est pas par ruse ni embuscade que je veux obtenir votre tendresse, mais par une conquête loyale, à champ découvert. Si vous ne m’aimiez pas, en me montrant tel que je suis, à quoi me servirait de capter votre affection par mille petits subterfuges : tôt ou tard l’amour obtenu par surprise s’éteint et meurt, & l’amour que j’attends de vous, ô mon ange bien–aimée, est un amour toujours croissant, éternel & c’est le seul amour qui puisse me satisfaire; & c’est aussi l’amour que respire votre dernière lettre si charmante, si affectueuse. Ô ma chère petite reine, vous ne sauriez croire l’ivresse qui déborde de mon coeur, lorsque je reçois des pages aussi remplies de tendres choses. Quel courage je puise dans votre amour, quelle ardeur, quelle ambition d’arriver bien haut, bien haut, pour vous rendre heureuse autant qu’on peut l’être sur terre! O! Attala gardez moi votre amour, et appuyé sur l’assistance de la Vierge marie, je ferai [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] large & profonde, ma trouée dans les rangs de mes concurrents. Ce n’est pas la perspective d’un nom glorieux ni d’une fortune colossale, qui pourrait soutenir le courage de votre Émery qui vous aime tant; riches et glorieux sont souvent très malheureux; riches & glorieux, s’ils ont un coeur affectueux, dépérissent quand un vent de tendresse ne vient pas rafraîchir leur âme. Et nulle plus que vous ne sait combien mon coeur est affectueux; car à nulle autant qu’à vous, je n’en ai dévoilé les plus secrets désirs, les plus intimes pensées. O! Attala! Attala!, ma bien chère amie, je vous jure que jamais, jamais, je n’ai aimé autant que je vous aime; jamais, jamais je ne me suis senti aussi sûr d’aimer quelqu’un toute ma vie.

Ma charmante Amie, vous me demandez bien gentiment si je vous vais gronder, parce que vous êtes allée diner chez M. Simon, en compagnie de M. Beaudin? Ah! non, chérie, votre Émery ne s’attriste pas de savoir que vous vous égayez quelque peu; surtout votre Émery est enchanté de voir avec quelle aimable confiance, vous lui racontez vos sorties, vos pas & démarches. Faites toujours ainsi, ma mignonne & moi aussi, quand, par hasard, je me verrai forcé de sortir, je vous conterai tout. Ne sommes-nous pas l’un à l’autre dès maintenant? N’êtes-vous pas ma fiancée adorée?

Pourtant, je vous ai promis de tout vous dire, je tiendrai promesse; seulement je ne veux pas que vous teniez compte de ce que je vais vous dire. À première lecture, cette nouvelle que vous étiez allée diner avec M. Beaudin, m’a paru si raisonnable, si naturelle que pas le moindre nuage de tristesse n’est venue assombrir la joie qui inondait mon âme, depuis le commencement de la lecture de votre lettre. Mais après, cette idée que vous étiez sortie avec M. Beaudin revenait sans cesse voltiger autour de mon esprit, comme un moustique acharné; puis je me rappelai que ce Monsieur était chez vous, à la veillée du mardi gras; divers incidents de cette veillée me revinrent à la mémoire; puis perçant les voiles de l’avenir, j’entrevis une série de soirées, de soupers, de «fricots», dans lesquels vous vous trouverez en présence de ce Monsieur. Et soudain M. Beaudin prit à mes yeux les proportions d’un rival. Anxieux, je me demandai, si dans cette prome [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm]nade, vous n’aviez pas jeté les germes d’un amour destiné à grandir, grandir jusqu’à chasser l’amour que vous me portez maintenant.

O! les folles terreurs! O! les craintes fiévreuses causées par un amour excessif! que vous me faites souffrir. Attala! ne me grondez pas pour cela, surtout ne vous privez pas de ces distractions innocentes; mais au nom du Ciel ne m’abandonnez pas!

Ni moi, non plus, je ne puis me passer de votre amour maintenant; cette tendresse est la vie, la nourriture, le soutien de mon coeur; ne me l’arrachez pas. N’aimez pas M. Beaudin, je vous en supplie, ne délaissez pas votre pauvre Émery!

Vous riez de ces terreurs, O! ma chérie! mais comme elle dénote bien l’état enfiévré de mon coeur amoureux, débordant d’affection pour vous.

C’est demain samedi, c’est demain que je vous verrai; le 10 août, ce jour était marqué sur mon calendrier comme un jour béni, depuis quinze jours. Demain soir vous voir, vous trouver toujours fidèle, toujours aimante; retrouver dans vos beaux yeux une flamme d’amour pour moi! o! quel bonheur!

Si vous deviez, pour quelque raison imprévue, vous absenter, ou s’il vous était impossible de me recevoir, faites-le moi dire, pour que je n’aie pas le désappointement de trouver le nid vide. Vous recevrez cette lettre ce soir vendredi; un mot écrit ce soir, m’arriverait à temps pour me faire rester chez moi.

Si je ne reçois rien, je serai près de vous à l’Angelus sonnant, comme toujours. Oh! préparez-moi une réception comme vous savez que mon coeur les désire; vous me connaissez assez maintenant pour pouvoir deviner mes goûts en semblables matières.

Il est deux heures & il faut que ma lettre parte à quatre heures. Bonjour, chérie, au revoir, dans 29 heures celui qui vous aime le plus au monde, ira vous demandez si vous l’aimez encore. Vous direz un joli « oui » n’est-ce pas; pour que ce soit bien vrai. Mon Attala chérie, ma Bien-Aimée, ma fiancée adorée; aimez, aimez toujours, sans vous lasser, sans jamais craindre de trop m’aimer; aimez, si vous le pouvez autant qu’il vous aime; aimez toute votre vie,

Votre Émery à vous seule pour la vie.








Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
Révisé le 5 février 2015
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