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Lettre du 22 août 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 22 août 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 22 août 1901
À Mademoiselle Attala Mallette

Mon Attala Adorée,

Votre lettre datée du 21 courant vient se m’arriver & m’apprend que vous n’avez pas encore reçue la mienne datée du même jour; je souhaiterais que vous ne la receviez jamais, cette malheureuse messive dictée par l’angoisse & le doute le plus poignant.

Pauvre chérie, vous attendiez une lettre pleine d’affection & vous allez recevoir une lettre pleine de larmes, une lettre qui va peut-être en faire monter d’autres à vos yeux. Oh! pardonnez-moi, si je vous ai fait de la peine à vous, bien aimée de mon âme, à vous que j’aime toujours de plus en plus, que j’aime plus que moi-même. Pardonnez-moi mon cher ange en considération de l’atroce souffrance qui me dévorait le coeur en vous écrivant.

Voyez-vous, quand les yeux sont voilés de larmes, quand l’âme est en proie au plus effroyable martyre que peut causer un amour incommensurable; quand l’esprit est assombri, par les plus noirs tableaux, d’abandons, de ruptures de promesses, de trahisons, il n’est pas étonnant que la main trace des mots qu’on regrette plus tard.

Cette déplorable lettre est née du premier jet de ma douleur, Ah! elles étaient si terribles les nouvelles qui me sont parvenues, au sujet de votre voyage à Beauharnois, grossies qu’elles étaient par la distance, par la renommée, & l’envie.

Je ne sais pas encore ce qui s’est passé, mais fort de ma confiance en vous, je puis dès maintenant être assuré que vous n’avez rien fait qui soit indigne de vous, indigne de moi, que vous n’avez rien fait de contraire à nos engagements, à notre amour, à nos projets d’avenir.

Chère Attala de mon âme, que j’ai souffert à propos de ce voyage; et maintenant je suis convaincu qu’en en écoutant le récit sincère & loyal de votre bouche chérie, je sentirai fondre l’une après l’autre mes inquiétudes, mes angoisses, mes craintes; et le seul résultat de tout cela, sera je l’espère, un accroissement de notre amour réciproque, une [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] plus grande confiance l’un en l’autre, un plus profond mépris pour les nouvelles à sensation qui nous arrivent de toutes parts, cherchant à nous désunir.

De cette lettre, que vous avez dû recevoir ce matin, ne retenez que les expressions de mon amour qui me pénètre & me domine de plus en plus : le reste est non avenu, nul & de nul effet. Ou plutôt, à travers les soupçons, les tristesses, les sanglots navrants, qui dominent la plus grande partie de cette messive, voyez un autre moyen de traduire toujours le même sentiment : la tendresse la plus vive, l’affection la plus ardente que jamais coeur d’homme n’éprouva pour une femme.

La douleur née de la crainte de vous perdre n’a-t-elle pas un cachet plus grand encore de sincérité dans l’amour, que les plus douces caresses; et les sanglots ne proclament-ils pas mon immense tendresse pour vous, chère Attala de mon âme, plus éloquemment que les plus tendres aveux. Oui, mon Attala bien-aimée, je vous aime, je vous adore plus que jamais, plus que vous ne croyez, plus que je croyais moi-même. Ah! si vous êtes pâle, sachez que depuis une semaine j’ai pâli affreusement; sachez que chaque ami qui me rencontre ne peut s’empêcher de me demande si j’ai été malade depuis quelque temps. Oh! oui, Attala, j’ai été bien malade; puisque j’ai eu peur de vous perdre; j’ai traversé un orage terrible & mon coeur en sort tout ensanglanté. Pauvre coeur! si assoiffé d’amour & jamais rassasié, comme vous le faites souffrir, ma chère bien-aimée. N’en aurez-vous pas pitié. Ce n’est pas une semaine d’étude qui me fatigue autant que ces deux jours de désolation. Je le sens, & il ne sert à rien de le dissimuler, il n’y a plus de bonheur possible pour moi, que dans la possession réelle de votre coeur, que dans l’union indissoluble de nos deux âmes. Mon coeur débordait d’amertume, lorsque j’écrivais hier : Je ne pourrai donc jamais vous appeler mon épouse chérie, ma compagne adorée, ma divine consolatrice dans les épreuves de la vie! N’est-ce pas que ces paroles sont menteuses; vous ne m’abandonnerez pas, Attala chérie, vous ne délaisserez pas votre Émery, maintenant qu’il ne peut plus se passer de vous. Comme je vous le disais sur ma lettre d’hier, une affaire importante me doit appeler à Ste Martine, un jour quelconque de cette semaine ou de la semaine prochaine: de grâce ne vous absentez pas : je ne serai qu’une journée & ce sera mon dernier voyage avant les cours. Attendez-moi, attendez-moi.

Vous êtes consolée, n’est-ce chère Attala chérie; je vous aime de plus en plus; faites de même, Dieu aidant, nous nous appartiendrons pour toujours sans réserve. Écrivez de grâce, bientôt, bientôt à

Votre Émery pour toujours.








Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
Révisé le 5 février 2015
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