Lettre du 27 août 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 27 août 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 27 août 1901
À Mademoiselle Attala MalletteJamais je ne me suis mis plus joyeusement à l’oeuvre pour vous écrire; car outre le plaisir de converser quelques instants avec celle que j’aime le plus au monde; j’ai encore la satisfaction de penser que je vous donne une nouvelle marque d’affection, en écrivant avant mon tour, & que de plus, je fais acte de réparation pour la méchante lettre de mercredi passé! Vous m’avez pardonné, je sais bien, & même nous en sommes unanimement venus à la conclusion que je n’avais pas tous les torts; cependant ma conscience n’est pas tout-à-fait tranquille sur ce méfait : en vous écrivant aujourd’hui je fais ce que j’appellerais, non pas pénitence, mais oeuvre expiatoire pour mon péché. Ma chère Attala, avez-vous pensé à moi depuis dimanche; vous êtes-vous ennuyée un peu de votre Émery à vous toute seule? Qu’ai-je besoin de vous dire que votre pensée ne m’a pas quitté un seul instant; j’ai voyagé continuellement avec vous, je vous ai parlé tout bas; je me suis répété les douces paroles que votre cher petit coeur vous a dictées à mon adresse; j’ai médité sur le bonheur que j’avais d’être aimé d’une aussi bonne jeune fille que vous; & j’ai cherché bien sincèrement les moyens à prendre que ce bonheur ne me soit jamais, jamais ravi. O! mon Attala adorée, je vous ai tellement répété que je vous aimais, que je vous aimerai toute ma vie, que parfois je crains de vous paraître fastidieux; et pourtant, chaque fois que j’écris votre nom; ce mot: «je vous aime», vient de lui-même se placer sous ma plume. Et comment ne vous aimerai-je pas, quant tout le monde vous proclame si aimable, quand il vous suffit de paraître pour gagner tous les coeurs. C’est vous dire, qu’à Beauharnois l’on ne tarit pas d’éloges sur votre compte, depuis dimanche. «Vous êtes si affable, si polie, si délicate de taille, de manière, de langage, vous êtes si réservée; enfin vous êtes l’idéal qu’une mère peut rêver pour son fils, une soeur pour son frère.» Comme nous avons bien parlé de vous, de votre pau[Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm]vre mère, que maman a bien connue, de votre père avec lequel mon père a pris de si bonnes parties de dames; et comme j’étais heureux d’entendre répéter tant de bonnes choses de celle que j’aime de toute mon âme, de vous, ô mon Attala, en qui je mets toute l’espérance de mon bonheur. Et non contents d’avoir prononcé votre nom cent fois dans la journée, nous avons encore passé toute la veillée d’hier jusqu’à minuit, maman à moi, à parler de vous, de mon amour pour vous, de l’avenir que j’osais espérer, appuyé sur vos promesses d’amour éternel, sur l’absolue confiance que je mets dans ces promesses. Inutile de vous dire que mes rêves dorés rencontrent toute l’approbation de mes parents; inutile de vous répéter qu’on a bien ri de la terrible peur qu’on m’avait causée; Tout le monde vous aime, ma chérie, & moi je vous adore. Vous plairait-il savoir comment je me suis rendu à Beauharnois? rien de plus simple: en voiture avec M. Blais en compagnie de cinq douzaines de terrines, sans compter les biberons etc; & au milieu de cet amoncellement inextricable de ferblanc, on eut difficilement reconnu en moi le joyeux & brillant «compère» de la ville; & dans mon compagnon de voyage, je pouvais encore moins reconnaître ma gentille commère. M. Blais a été on ne peut plus affable: D’abord, il lui avait fallu me presser vivement pour me décider à profiter de l’offre qu’il me faisait d’accepter son aimable compagnie; j’aurais de beaucoup préféré la compagnie du chemin de fer. J’embarquai donc; alors nouvelles instances pour me faire accepter un cigare; j’eus l’obligeance d’accepter & je poussai la gentillesse jusqu’à le fumer presqu’en entier. Décidément, je suis en bons termes avec mes rivaux! Mais comme bien vous pensez, M. Blais avait un but, dans toute cette affaire; c’était de me faire parler. Il y réussit; et je me mis à lui parler de l’abondance de la récolte du foin, compensée par une grande pénurie d’avoine; je m’enthousiasmai en chantant les beautés de la rivière de Ste Martine; et enfin ce fut presque du délire, lorsque j’entonnai un hymne à la louange du commerce du ferblanc. M. Blais osa me rappeler timidement à la réalité, en me demandant le nombre «d’années» qui me séparaient du jour où je serait reçu avocat! «Dix mois! Monsieur». «Dix mois», répéta-t-il, et il réfléchit : «Ensuite, vous avez l’intention de vous établir.» «Oui, je suis fatigué de cette vie de pension que je mène depuis plus de dix ans !» «Vous allez vous faire un «chez vous»», demanda-t-il, hésitant; «C’est-à-dire, que je m’en vais me pensionner dans ma famille, à Beauharnois, où j’aurai un bureau du soir.» «Ah! Ah!» dit-il. «Oui», répon[Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm]dis-je. Il y eut un grand silence; M. Blais cherchant de nouvelles ruses pour me faire parler de vous; moi riant dans ma barbe, de tout le mal qu’il se donnait en pure perte. Pendant quelques instants, il parla de choses indifférentes, pour endormir ma méfiance. Puis brusquement, il ouvrit un feu bien nourri, dans une attaque de plein front, en me parlant de votre père, de ce qu’il vait fait, de ce qu’il ferait, de ceci, de cela etc. Je répondis par des «Vraiment! Vous ne dites pas! Allons! donc» tout le vocabulaire y passa. Mais ce que M. Blais voulait, c’est-à-dire de me faire parler de vous, il ne put l’obtenir. Nous arrivions, je lui offris un verre de bière, pour le remercier et nous nous séparâmes. Et voilà comment il se fait que votre nom n’a pas même été prononcé, quoique vous ayez été l’âme, le but, le mobile de toute cette conversation; si donc M. Blais rapporte que j’ai dit ceci & cela, il sera félon, sans foi & hors la loi; puisque je n’ai pas même prononcé votre nom; et voilà comment il se fait que tout en n’étant pas petit oiseau, vous n’en savez pas moins tout ce qu’on a dit de vous dans ce fameux jour du lundi parce que moi je suis une vraie pie qui dit tout ce que je crois pouvoir vous intéresser. Mais non, ce n’est pas tout; il y a une chose qu’on a dite de vous & que je ne vous ai pas encore répétée. On vous a trouvé un grand défaut, défaut contre lequel je vous ai déjà mise en garde, défaut qui pourrait bien briser mon existence en vous ravissant à ma tendresse, à mon amour, ce défaut c’est la pâleur. Vous leur avez paru si pâle, si pâle, que de nouveau, ils ont rempli mon coeur de crainte pour votre santé, pour votre vie. Prenez donc grand soin de vous, si c’est vrai que vous m’aimez; de grâce, fortifiez-vous, ne dites pas «Je ne suis pas malade». Ce n’est pas quand elle est arrivée, mais bien quand on la sent venir, qu’il faut se préparer contre la maladie. Mon Attala chérie, ma bien-aimée, ne m’avez-vous pas promis de faire votre possible pour me faire plaisir; eh! bien, je vous supplie de donner une grande attention à votre santé; n’oubliez donc pas qu’à votre âge surtout, à cet âge critique, la constitution exige des soins tout particuliers, dont l’omission peut causer les plus graves maladies. Vous ne m’aimez pas du tout, du tout, si vous ne prenez pas les moyens, pendant qu’il en est temps encore, de ramener sur vos joues chéries, ces belles couleurs que j’aimais tant y voir, l’hiver passé. Vous n’avez pas souffert de votre voyage de dimanche dernier, n’est-ce pas, ma chère, & j’aime à croire que votre père est convaincu, après les sincères explications que je lui ai données de vive voix, qu’il nous a été absolument impossible [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] d’arriver plus tôt que nous ne l’avons fait. Soyez convaincue que nul n’a plus que moi même, été contrarié de ce contre-temps. J’aime tant être à l’heure partout, et je serais si peiné d’apprendre que j’ai pu vous causer quelques ennuis. Je suis venu ce matin à Montréal, par affaire, et je retourne à Beauharnois ce soir. Comme vous m’avez dit que jeudi vous auriez plus de chance que samedi pour n’avoir pas d’ouvrage, je ferai mon possible pour vous aller voir jeudi soir; si je ne puis, j’irai samedi soir. Mais que j’y aille jeudi ou samedi, je vous supplie de m’avertir bien sincèrement si vous avez quelqu’ouvrage pressant, afin que je vous aide si je le puis ou que je me retire. Vous comprenez bien que je ne veux pas déranger ni vous ni votre père dans une occupation aussi pressante que celle qui occcasionne l’exposition, & que je ne vous en voudrais aucunement si vous ne pouviez me tenir compagnie: le devoir avant le plaisir. Seulement, je me réserve, dimanche soir, veille de mon départ pour l’année universitaire, & dernière soirée qu’il me sera donné de passer avec vous d’ici à deux mois. Si dans tous les cas, vous prévoyiez beaucoup d’ouvrage & pour jeudi & pour samedi, écrivez-moi à Beauharnois, pour m’en avertir de ne pas vous aller déranger (j’aime mieux pourtant que vous n’écriviez pas). Mais je m’aperçois que toute cette lettre est remplie de nouvelles & que je n’ai pas encore eu le temps de vous dire combien je vous chéris; et pourtant, si dans d’autres voyages vous vous étiez montrée, plus vive, plus enjouée, dans aucun, vous ne vous êtes montrée plus douce, plus remplie d’affection sérieuse qui donne confiance qu’elle durera toujours, et je vous affirme, ma bien-aimée, que jamais je n’ai trouvé plus de suavité dans votre amour, plus de calme, plus de repos. Combien de fois, mon départ ne m’a-t-il pas plongé dans des angoisses atroces; produisant un affaissement, un énervement excessivement pénible. Mais dimanche, je suis parti, l’âme remplie de paix, de confiance dans votre fidélité; dimanche, j’ai compris plus que jamais, combien est douce l’affection de deux coeurs purs & chastes. O! Attala, Attala, chaque jour, je vous le jure, mon amour augmente pour vous, mon âme en est toute pénétrée, mais de cet amour je n’ai pas à rougir devant le Ciel, de cet amour je puis entretenir la Mère de toute pureté, et la constituer ma divine Confidente; de cet amour, ô chérie de mon âme, je puis avec confiance, avec certitude, demander le couronnement à Dieu lui-même. Et c’est ce que je fais chaque jour, & chaque jour je sens croître en moi l’intime conviction que nous sommes destinés l’un pour l’autre, que je serais bien heureux avec vous & que je saurais vous rendre heureuse. Mon unique, ma chère Attala, il n’y a que vous pour me rendre heureux; je vous supplie de ne pas m’abandonner; et je vous jure devant Dieu, que jamais nulle autre que vous n’occupera mes pensées, ne remplira mon coeur si seulement vous voulez m’être fidèle. Au revoir, ma chère bien-aimée; aimez-moi; pensez à Votre Émery
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