APPROCHER du graphisme de Simone Aubry Beaulieu,
ce peut être choisir de lire le fil intérieur du travail d'une femme,
traçant et témoignant de quarante ans de rencontres et de vie.
Durant toutes ces années Simone Beaulieu, à travers les différents
pays, les différentes situations, rencontres et obligations où l'ont
menée ses attaches diplomatiques, n'a cessé de rejoindre dessin
et peinture. Il semble que son travail graphique a été le lien de
permanence entre elle et le monde, comme lieu de passage
initiatique, qui mènera la petite fille solitaire,
attachée à reproduire les
visages qui passent à la femme toujours attentive aux réalités
extérieures, qu'elle rencontrera et transcrira.
Sa production graphique est très nombreuse, quelques
sept cents dessins en témoignent: paysages, feuillages, fleurs,
nus et surtout portraits. De son passage à l'École des Beaux-Arts,
peu de traces conservées, mais bien plus de révolte pour un
enseignement qu'elle jugeait alors sclérosé et académique, et
dont la rencontre avec Borduas va faire évoluer son travail vers
une recherche plus libre. Long travail solitaire aussi, même si la
fréquentation de certains groupes de peintres, surtout à Paris,
vont lui apporter des influences décisives. Matisse l'impressionnera
pour la pureté de sa ligne et Picasso pour le goût de l'aventure
et du jeu qu'il impose à son tracé. Deux tendances qu'elle
transposera à sa façon mais qui resteront essentielles dans son
cheminement. D'une certaine façon on peut dire que si ces deux
influences majeures par rapport au travail graphique ne sont pas
celles qui ont le plus marqué son travail de peintre, c'est que chez
cette artiste, le dessin n'est pas là à titre de travail préparatoire
pour ouvrir au tableau. Rares sont esquisses et croquis destinés à
être peints.
Le dessin a sa nécessité en soi.
Il semble qu'il soit fait de la rencontre de deux contradictions.
Témoigner d'abord du regard intérieur et là c'est l'enfant
qui voit le monde à travers l'imaginaire que lui dicte sa solitude et
qui en rend compte par la simplicité de la ligne en quête de
pureté. Par ailleurs le monde extérieur s'impose dans sa
complexité, voire quand ce n'est pas dans l'exubérance de certains
paysages et personnages exotiques et amène un tracé qui
s'épaissit, s'ombre, appelle à la peinture et se réalise sur le papier
en larges taches d'encre ou de goudron. Ce que Simone Beaulieu
appelle: «ma manière noire».
Rapport Moi/Monde, le dessin sera durant ces nombreuses
années, son travail de continuité quand la peinture ne
peut être réalisée, faute de temps, et que cette femme volontaire:
«Je suis un bourreau de travail», utilisera les moindres moments
disponibles pour retrouver son atelier. Travail d'urgence
intérieure aussi, car elle aurait pu se contenter d'être présente dans
ses activités extérieures. Là on peut être touché par le travail
d'une femme qui a voulu conserver un regard simple sur le
monde qui l'entoure.
Son travail graphique est avant tout figuratif et descriptif,
alors que sa peinture, au départ de tendance cubiste, semble
aller vers un travail plus abstrait et plus lyrique. Donc parler de
son tracé, c'est dire l'importance de son regard sur le monde
environnant qu'elle restituera objectivement. Elle y rencontre
comme on l'a dit paysages, végétations et personnages. Ses portraits
sont probablement ses dessins les plus représentatifs.
Simone Beaulieu a rencontré de nombreuses personnes,
tant dans les milieux artistiques et littéraires que dans les milieux
politiques ou dans les milieux les plus simples. Des «favellas»
du Brésil aux salons des ambassades, en passant par les rencontres
de cafés où discutent certains artistes, elle a été attirée par
certains traits qu'elle a voulu rendre à la fois avec fidélité au réel et
dont elle a voulu rejoindre le mystère. Quand on lui demande
quels sont les critères qui l'amenent à dessiner certains portraits,
et quelle est son approche tant psychologique que graphique, elle
parle d'abord de la magie d'un visage, de son intensité et de son
appartenance à un type humain particulier. Le résultat: des portraits
présents, au tracé ferme, où le regard surtout est accentué.
Portraits faits d'après modèles et parfois exécutés de mémoire, et
donnant lieu alors à plus d'interprétation imaginative.
Au début, quelques portraits à l'aquarelle, peu nombreux
et provenant surtout de l'exploration d'une technique à
l'École des Beaux-Arts, en suite quelques portraits, rares également,
faits au fusain. Très vite la rencontre avec le goudron
amènera la dessinatrice à sa technique favorite. L'encre de Chine
et le stylo-feutre viendront compléter ces mediums. Ces trois
dernières techniques demandent au pinceau ou à la plume un
trait ininterrompu qui ne peut être retouché. Le tracé à la ligne
cerne le portrait sur l'espace blanc du papier. Parfois interviennent
de légères touches d'huile pour préciser le regard, ou ourler
de blanc le contour d'un visage. Parfois aussi un travail au tampon
restitue ombres et reliefs. Certains de ces portraits marouflés
accentuent alors dans un léger jaunissement des blancs, les
beiges/bruns des plus clairs aux plus sombres rendus par le
goudron, et composent ainsi une sorte de camaïeu.
Témoignages, ces portraits le sont quand ils nous restituent:
- Paul Beaulieu (1941),
- Montherlant (1942),
- Saint-John Perse (1943),
- René Garneau (1950),...
- E. Ulrich (1976),...
- Jean-Paul Clébert, (1977),
- Jean-Yves Soucy, (1980),
-
Margaret McCayne, (1978),
-
Helen McCayne, (1978).
... les deux soeurs McCayne,
dessinées à Montréal avec à la fois précision
et liberté de la ligne, ... restent deux des dessins les plus
importants parmi toute cette production.
D'une manière générale, on peut dire qu'à travers son
oeuvre graphique, Simone Beaulieu est restée fidèle à elle-même,
dans une approche figurative allant de la plus représentative à la
plus imaginative de son univers. On constate dans son évolution
(des années 1935 jusqu'à ce jour), un dépouillement et une affirmation
du tracé, qui de par même son «itinérance», retourne
aux sources de l'enfance; en quête de «la rigueur du blanc, du
gris et du noir». Mais la peinture demande: «Je suis coloriste
aussi».
«Je n'ai pas encore rejoint ce que je veux atteindre», dit
aujourd'hui cette artiste, affirmant ainsi une recherche toujours
vivante et modeste, où pourraient se retrouver, pense-t-elle,
peinture et graphisme réunis dans un même espace, au rythme
de la musique et du geste; et ceci dans un avenir qu'elle pressent
très proche, maintenant qu'elle a retrouvé ses racines natales. Elle
y voit des personnages énormes et imaginaires, mi-humains,
mi-fantastiques, rejoignant la matière picturale. Souhaitons y
retrouver ces regards ou le propre regard de Simone Beaulieu
rejoint le regard des autres et le nôtre.
Annie Molin Vasseur
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Paul Beaulieu, Montréal, 1941.
Encre de chine sur papier;
32 cm x 26 cm.
Henri de Montherlant, 1942.
Fusain sur papier;
37,5 cm x 28,5 cm.
Saint-John Perse, Washington, 1943.
Encre sur papier;
25 cm x 33 cm.
René Garneau, Ottawa, 1950.
Encre sur papier;
41 cm x 24 cm.
E. Ulrich, Provence, 1976.
Goudron et huile sur papier;
49 cm x 31 cm.
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