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Lettre du 14 avril 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 14 avril 1901



4 folios de 2 pages 20 x 26 cm; les rectos et versos sont numérotés
Montréal, 14 avril 1901


À Mademoiselle Attala Mallette,

Ma bien-aimée,

Enfin il est arrivé l'heureux moment où je puis m'entretenir avec vous, épancher mon coeur dans le vôtre, vous dire tout mon amour! Non, non, je sens que je ne puis pas vous exprimer mon amour tel qu'il est, je sens qu'il y a dans ma tendresse pour vous, des nuances, des délicatesses, une force, une profondeur que nulle parole ne peut traduire; je sais que quoique je dise, en relisant ma lettre tantôt, je m'écrirai: «Mon Dieu! je l'aime beaucoup plus que cela!»

Ma chère Attala adorée, vos beaux yeux ont versé des larmes, en m'écrivant, dites-vous, eh! bien moi aussi j'ai pleuré en lisant votre lettre si touchante; et à mesure que je lisais, la tendresse, l'admiration, la douleur, l'espérance se disputaient mon coeur. Je vous demande pardon d'avoir cru plus ou moins, que vous étiez frivole; j'ai honte de m'être laissé ainsi trompé. La véritable Attala, celle qui est digne de tout amour, m'est apparue, entièrement sur votre dernière lettre.

Oh! mon bel ange! qu'il fait bon de vous entendre parler de votre mère comme vous le faites! comme vous l'aimiez, votre bonne mère! comme je comprends votre douleur que le temps n'a pu parvenir à cicatriser. Eh! bien, mon Attala chérie, à votre mère que vous aimiez tant, à votre mère qui du haut du Ciel veille sur vous, vous protège et m'entend, à votre mère, je jure, de travailler de toutes mes forces, à vous rendre heureuse. Oui, à force de travail, d'étude, de nuits d'insomnie, à force d'énergie, à force de courage, à force de prière, je vous bâtirai un nid si soyeux, si chaud, si moelleux, que vous y oublirez toutes vos peines, tous vos ennuis; que vous ne pourrez pas vous empêcher de m'aimer, de toute votre âme; Ma mignonne, je vous veux faire avec mon amour, un rempart si puissant, si épais que vous ne pourrez ni entendre les douleurs du dehors, ni être atteinte des calamités humaines.

C'est ma vie, c'est mon coeur, c'est moi-même que je vous consacre, que je dédie à votre service; ne vous demandant en retour que beaucoup d'amour, que beaucoup de caresses, que beaucoup de baisers. Que je suis heureux de vous entendre implorer ma tendresse, me recommandant de vous aimer toujours! Vous me rappelez mes serments! merci; car ce souvenir est le plus doux de ma vie; puisqu'en pensant aux promesses que je vous ai faites, je ne puis m'empêcher de penser à celles que vous m'avez faites vous-même. J'espère qu'elles sont encore assez présentes à votre mémoire qu'il n'est besoin de vous les rappeler. Oui! Attala, aimons-nous bien, aimons toujours, ne dites plus qu'il n'est pas sensé de m'aimer comme vous le faites; et de mon côté, je ne dirai plus jamais que j'ai peur de vous trop aimer; aimons-nous sans compter, sans crainte, sans mesure; et quand le jour béni entre tous sera venu, nous serons heureux également sans mesure.

Surtout, ma chère petite amie, mon cher petit ange, ma chère petite... femme; (pardonnez-moi, si cela vous offense) surtout, au nom du Ciel ne me dites plus que vous craignez, que vous tremblez, tenez, si vous saviez comme ces paroles me font de la peine! Pourquoi, doutez-vous de moi? Indiquez-moi une preuve qui vous paraîtra convaincante, irréfutable, une preuve qui arrachera toute crainte de votre âme, et je m'engage d'avance, à vous la donner cette preuve d'amour. Rien ne peut me coûter, quand il s'agit de vous faire plaisir; puisque je ne vis plus, que je ne travaille plus que pour vous aimer, que pour mériter le bonheur de pouvoir toute ma vie vous combler de tendresse, de soins, d'attentions.

Vous me dites que je devrai être affectueux, affable, complaisant. Comme il me faudra peu d'efforts pour être effectueux; puisque je ne cherche qu'un coeur capable de m'aimer, pour lui prodiguer en retour tous les trésors d'affection qui se sont accumulés dans le mien, depuis longtemps. Affable & complaisant, je le serai à force de combats contre moi-même, si vous trouvez que je ne le suis pas assez naturellement.

Vous me demandez, si je me suis bien rendu, mardi. Oui, très bien; mais ce que vous ne me demandez & que je vais vous dire quand même, ce sont mes impressions, lorsque je me suis vu séparé de vous pour si longtemps encore.

En me levant, mon premier mot a été votre nom; j'avais rêvé rêvé à vous toute la nuit, et je sentais une envie de pleurer que je n'avais éprouvé depuis bien longtemps. Mais il fallait me contenir, devant des visages étrangers. Tout le jour, je me raidis contre ma douleur; je lisais mes livres de loi avec rage, sans rien comprendre, mais uniquement pour tromper ma douleur.

Mais le soir venu, quand je me vis bien seul dans ma chambre, quand vint le moment, où vingt-quatre heures auparavant, je vous parlais, je vous entendais, oh! alors, je sentis mes forces faiblir. En vain, j'ouvris mon code; vos traits adorés apparaissaient sur chaque page; en vain, je tentai de m'encourager par la perspective d'un brillant examen; votre voix si douce, vos dernières paroles me revinrent distinctement aux oreilles; les larmes me montaient aux yeux. Je fermai ma porte; et alors, seul, craignant d'être surpris, comme si je faisais une mauvaise action, j'ouvris le coffret où sont toutes vos lettres, où est votre portrait. Longtemps je contemplai le portrait me représentant enfant, celle, qui maintenant s'est si bien rendue maîtresse de mon coeur.

Puis je relus vos lettres, depuis la première, simple accusé de réception avec l'invitation de continuer la correspondance, jusqu'à la dernière, où vous me juriez de m'aimer toujours. J'y vis l'histoire de votre amour, vos hésitations, vos reculs, vos timides déclarations d'amour, suivies d'un mois de silence, comme pour me mettre en garde contre la tendance que je pourrais avoir de vous croire trop facilement. Puis c'est la lettre que vous m'écriviez à la suite de votre voyage à Montréal, de notre charmant diner au Grand Vatel, et sur laquelle, pour la première fois vous montriez un peu d'abandon.

L'avez-vous regretté? Il est probable, pusque quelques temps après, vous m'écriviez une chétive petite lettre rien que pour me dire que vous arriviez de soirée chez Madame Demers & que vous m'attendiez le samedi suivant.

Puis enfin, viennent les lettres du mois de mars. Mon Attala! comme elles étaient pleines d'amour, comme vous m'assuriez que vous n'aviez d'autre ami que moi, que vous n'aimiez que moi, que vous m'aimeriez toute votre vie, que vous ne viviez que pour m'aimer; comme vous m'assuriez que vous n'écriviez qu'à moi; Et en relisant ces protestations enflammées qui m'avaient rendu si heureux, quand je les reçus; je me sentis envahi par une tristesse immense; je songeai qu'à cette même époque, quelque fois peu d'instants après m'avoir écrit de si belles choses, vous en écriviez de semblables ou à peu-près, à un autre de vos amis; et moi que l'on croit si au-dessus des peines d'amour, moi qui trouvais jadis tant de traits piquants, tant de railleries à l'adresse des amoureux; eh! bien! oui, je l'avoue, je pleurai abondamment. Mon Attala! je ne veux pas vous faire de reproches, ils n'empêcheraient pas le fait accompli; mais laissez-moi vous dire que vous ne saurez jamais toute la douleur que votre conduire m'a causée en cette occasion; laissez-moi vous dire qu'il faudra bien du temps & beaucoup d'amour, pour cicatriser cette plaie saignate, ouverte par vos mains bien-aimées. Vous le savez «Plus l'offenseur est cher, plus on ressent l'offense!»; jugez donc de ce que j'ai dû souffrir; de ce que je souffre, moi qui vous aime comme vous le savez; moi dont l'amour vous donnait justement une preuve de sa vigueur, en accomplissant un voyage que les gens sensés considéraient impossible & qui m'a valu la raillerie de tous ceux qui ne se souviennent plus d'avoir aimé. Je sais, je sais que vous m'avez juré de ne plus jamais recommencer, de mettre un terme à vos relations avec ce Monsieur, de m'être dorénavant aussi fidèle que je le suis; j'ai foi en votre parole, j'ai foi en la Ste Vierge que vous aimez comme je l'aime, et à qui j'ai confié votre coeur que vous m'avez donné, la priant de me le conserver toujours, pur de tout autre amour; je rejette autant que possible l'idée que vous pourriez manquer à vos serments; mais, je vous l'avoue et je vous en demande pardon ma bien-aimée, mon coeur est bien souvent en proie à d'atroces soupçons. Mon Attala, non, non, ce n'est pas possible, vous n'auriez pas la barbarie de me tromper, d'abuser de ma confiance, de mon amour; Attala, Attala, au nom du Ciel, si vous regrettez vos engagements, si vous craignez de faiblir; je vous en conjure, dites-le moi de suite; ne me trompez pas, car un jour, vous sentirez que Dieu ne bénit pas la mauvaise foi; avertissez-moi tout de suite, car j'aurais peut-être encore la force, avec l'aide de Dieu, de vous pardonner, tandis que plus tard!... Vous m'aimez bien, n'est-ce pas, vous ne me tromperez plus, vous m'aimerez toujours. Avez-vous bien dit à Monsieur, comme vous me l'aviez promis, que vous entendez cesser toute relation avec lui; allez-vous m'envoyer sa lettre. Quant à moi, je vous envoie le mouchoir que M. Simon avait reçu de vous; j'ai fait là une mauvaise action, en le prenant dans sa poche, pendant qu'il était absent. J'ai honte! mais vous me l'aviez demandé; dites-moi si je vous ai bien servi; et surtout que personne ne sache ma faute.

Ma bien-aimée, vous m'avez promis de ne pas recevoir d'amis, mais je vois que cela vous est bien dur; c'est pour faire «ma volonté, dites-vous, mais c'est un grand sacrifice», eh! bien, non! je ne veux pas faire peser si lourdement ma volonté sur vous; je vous rends votre parole; je vous demandais trop, n'est-ce pas? Votre amour murmure de ma dureté? Recevez, recevez, mais sachez bien que je n'aurai plus aucune garantie de votre constance; sachez que le doute, l'angoisse, l'anxiété vont me torturer sans relâche. Mais qu'importe! puisqu'un de nous doit souffrir, mieux vaut que ce soit moi; le sacrifice ne me fait pas peur, quand il est pour le bonheur et la tranquillité de ceux que j'aime. Recevez, recevez, dussé-je en mourir, je ne vous demanderai plus de sacrifice comme preuve de votre affection; recevez, recevez; mais quand vous sentirez un autre amour naître en votre âme; quand vous entreverrez un plus grand bonheur dans les bras d'un autre que dans mes bras; oh! alors, dites-le moi bien franchement, ne faites pas comme la dernière fois; de grâce évitez , évitez-moi la honte d'une humiliation. Est-ce encore trop vous demander. Pardonnez-moi, si la page précédente est tachée: quelques unes des larmes abondantes que j'ai versées en traçant ces lignes, sont tombées à mon insu, sur le papier fraîchement écrit. Voyez-vous, moi, ceux que j'aime, je les aime bien. Comme je vous l'annonçais, j'ai commencé une neuvaine; mais c'est une neuvaine qui va durer plus que neuf jours, une neuvaine qui va durer tant que la grâce demandée ne sera pas accordée; seulement l'intention primitive a été quelque peu modifiée, ce n'est plus pour que je vous aime moins que je prie, c'est pour que vous m'aimiez davantage, que vous m'aimiez toujours, pour que nous soyons, l'un et l'autre, fidèles à nos serments; pour que nous soyons l'un à l'autre pour toujours et le plus tôt possible.

Ma chère Attala, je suis heureux de vous apprendre, que jusqu'ici, mon entreprise de travailler à mon compte, a réussi au-delà de mes espérances: j'attribue ce beau succès à vous, à vos ferventes prières que je vous prie de continuer.

L'Honorable juge de Lorimier, un de mes examinateurs, a dit de moi que j'étais un de ceux qui possédaient le sens légal le plus développé; et l'Honorable juge Mathieu m'a assuré que je n'avais aucun lieu de craindre pour l'examen final, et que mon succès était assuré.

Je vous dis toutes ces choses, ma chérie, non pas pour m'attirer des éloges, ni pour satisfaire à un mesquin sentiment de vanité, vous le savez; mais plutôt, pour vous montrer que je travaille bien fort; pour vous montrer à quel prix je vous estime, puisque l'espérance de vous posséder un jour, me donne le courage de consacrer tant d'heures à l'étude. Sachez que chacun de ces succès, que chacune de ces paroles représentent de longues nuits d'insomnie, supportées pour vous, pour vous qui trouvez si dur de ne plus recevoir de visites à cause de moi.

Bonsoir, ma bien-aimée, bonsoir, ô la lumière de mon âme! Hélas! rien qu'une semaine s'est écoulée depuis que je vous ai vue; rien qu'une semaine! que d'ennuis une seule semaine peut contenir.

Dites-moi, en ai-je écrit trop long? Vous le voyez, je vous parle à coeur ouvert; et je vous conjure d'en faire autant.

Ce que je veux, c'est que chacun de nous raconte à l'autre ses plus secrètes pensées; afin qu'il n'y ait plus de mystère entre nous deux; je veux que chacun prenne part aux joies de l'autre, souffre de ses douleurs, jouisse de ses espérances, s'attriste de ses revers, triomphe de ses succès. Je veux que nous nous accoutumions à vivre de la même vie, à n'avoir plus qu'un coeur pour nous deux.

Je veux et je vous prie de me bien aimer de toute votre âme, de m'aimer toujours, de n'aimer que moi pour de bon, sans arrière-pensée; je veux que vous sachiez que je n'aime que vous, que je vous aime de tout mon gros coeur, que je suis bien sûr de vous aimer toujours, si vous ne m'abandonnez pas.

J'ai besoin de vos prières; ne me les refusez pas; j'ai besoin de votre amour, ne me le ménagez pas; j'ai grand besoin de vous pour m'aider à supporter la vie, ne m'abandonnez pas; j'ai besoin, pour jeudi, d'une belle longue longue lettre, comme la dernière, dans laquelle vous mettrez beaucoup d'amour; vous me direz où vous en êtes rendue avec Monsieur.

Encore une fois, bonsoir et ne m'oubliez pas; mais aimez-moi comme je vous aime.

Votre Émery pour la vie.


P.S. Tachez de vous comprendre dans la pagination; je me suis mêlé à n'en plus jamais revenir.







Jacques Beaulieu
beajac@videotron
Révisé le 22 juillet 2019
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