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Lettre du 24 mai 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 24 mai 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio 21 cm x 28 cm avec l'entête]

A.S. Archambault, LL. L.
Avocat
No 56, rue St-Jacques
Montréal, 24 mai 1901
À Mademoiselle Attala Mallette,

Mon Attala Bien-Aimée,

Mon Dieu! que mon coeur est faible à votre égard, qu'il est prompt à pardonner, à oublier ses projets de vengeance. Oui! je m'étais bien promis de vous faire payer chèrement votre retard à m'écrire, arrivant justement après votre promesse si formelle; je devais rester une semaine, peut-être même quinze jours sans vous répondre. Et pour en agir ainsi, je trouvais mille bonnes raisons. Ne devais-je pas vous faire sentir, à vous aussi, combien il est triste d'attendre en vain une lettre de la personne aimée par dessus toutes? Ne devais-je pas me montrer aussi indépendant que vous? Ne fallait-il pas me montrer homme, en un mot? Je comprends bien que tout cela serait nécessaire; mais pour faire tomber mon courroux; pour faire vaciller mes bonnes résolutions & s'effondrer toute mon énergie, il vous a suffi d'écrire: «J'espère revcevoir une lettre samedi!» Eh! bien, oui, vous l'aurez votre lettre pour samedi! Malheur de malheur! je ne puis rien vous refuser lorsque je pense que mon refus pourrait vous attrister, me mériter encore une fois ce reproche affectueux qui m'avait tout ému sur une de vos précédentes lettres. «N'ai-je donc pas assez de contrariétés sans que vous aussi, vous me fassiez de la peine!»

N'allez pas croire que c'est votre raison ou plutôt votre prétexte qui m'a ainsi complètement désarmé! Votre raison ne vaut rien, Attala! «Vous aviez de la visite & vous ne pouviez pas m'écrire?» Ah! vraiment, vous vous croyez à l'abri de tout reproche avec cela? Eh! bien, si je n'avais d'autre excuse à vous offrir en parille circonstance, je me croirais bien coupable à votre égard.

Voyons, voyons! osez donc prétendre que vous ne pouviez pas nonobstant votre visite, prendre un petit bout de papier; monter à votre chambre, cinq minutes & écrire à la hâte: «Mon cher Émery; J'ai de la visite aujourd'hui; je n'en puis vous écrire long; mais je veux tout de même vous dire que je vous aime de tout mon coeur; en attendant que je puisse vous le redire, dans une belle longue lettre que je vous adresserai dès que ma visite sera partie; Votre Attala pour la vie.» Voilà ce que j'aurais fait moi, & voilà ce qui m'aurait prouvé combien vous teniez à remplir vos promesses, combien vous teniez à me faire plaisir.

Bon! je crois que j'ai assez grondé, je vous absous, belle ange de mon âme; mais ne retombez plus dans cette faute atroce.

Et, maintenant, pour chasser la mauvaise impression qu'a pu vous faire cette verte semonce, je m'en vais vous mander une nouvelle qui m'a comblé de joie & qui, par conséquent, vous sera très agréable.

Vous savez que j'avais concouru pour la bourse de $40.00, [deuxième folio de 21 x 28 cm avec entête] vous savez combien je tenais à l'avoir, mais aussi combien je craignais de la perdre, attendu que mes rivaux étaient les élèves de dernière année, ceux qui seront avocats dans quelques jours?

Eh! bien, cette bourse, ma chérie, je viens d'être averti que je l'ai gagnée!... Réjouissez-vous avec moi, mais surtout, avec moi, remerciez Dieu, remerciez la Sainte Vierge de cet éclatant succès; à eux revient toute la gloire, & j'avoue franchement que je n'ai pas eu un seul instant la pensée de m'en attribuer le mérite.

Sans doute, mon âme déborde de joie, mais c'est parce que je vois là, la protection évidente de Marie qui me conduit par la main depuis ma sortie du collège; c'est que j'y vois le gage de la protection de cette bonne mère, dans l'avenir; c'est enfin parce que j'y vois l'assurance que, de même qu'elle m'a accordé cette grâce, elle m'accordera aussi une autre faveur bien plus grande & que je lui demande avec bien plus d'instance: celle de vous posséder bientôt & pour toujours!

Oui, Attala, nous aurions tort de douter de l'avenir, lorsque la Providence se déclare si manifestement en notre faveur. Nous n'avons qu'à continuer à être de bons enfants, qu'à nous efforcer à devenir meilleurs, & infailliblement Dieu exaucera nos prières, nous unissant l'un à l'autre, heureux contents, reconnaissants.

Ma bien-Aimée Attala, vous ne viendrez pas à la ville cet été; cette nouvelle me fait bien mal au coeur, moi qui vous attendais cette semaine.

Ce matin même, je suis allé à la gare, espérant vous voir descendre du train et maintenant vous ne venez pas. Cependant, je vous prie de ne pas trop vous attrister; cette contrariété supportez-la avec votre courage ordinaire, avec cette énergie qui vous fait paraître si heureuse aux yeux du vulgaire, alors que dans votre âme, tant de sanglots s'élèvent. Faites mieux, ma bien-aimée, rendez votre souffrance utile pour nous deux en la convertissant en une ardente prière pour demander à Dieu de hâter l e moment béni de notre union. Cela ne vous aidera-t-il pas à supporter bravement les petites misères de votre existence; ne serez-vous pas heureuse de penser que vous avancez ainsi mon bonheur & le votre. Pour moi, rien ne me serait trop pénible, si je savais que la récompense serait l'avancement, si petit qu'il soit, de l'instant heureux où je pourrai vous appeler mon Attala à moi tout seul, où je pourrai vous prodiguer les caresses dont mon coeur déborde & que jamais encore il n'a pu prodiguer à son aise, où je ne craindrai plus ni vos retards à m'écrire, ni vos promenades de dix heures du soir, ni les cancans des commères, où je pourrai enfin vous murmurer tout doucement à l'oreille entre deux caresses, en vous couvrant de baisers.

«Et maintenant sur mes genoux, Ange aux yeux bleus, endormez-vous.»

Vous trouverez ci-inclus le résultat des derniers examens; vous y verrez que sur trois matières que nous avions, j'ai été premier dans deux & second dans l'au[début du troisième folio 21 x 28 cm avec entête]tre, quant à la quatrième matière, le droit romain, elle est propre aux élèves de première. J'ai donc bien travailler cette année, mon ange adoré, j'ai donc commencé vigoureusement à remplir la tâche que je me suis imposée: vous rendre heureuse à tout prix; mériter votre amour, vous bien convaincre du mien; vous récompenser dignement du beau sacrifice que vous avez fait pour moi, & que je ne puis me rappeler sans attendrissement.

Hier soir, ma bien-aimée, je suis allé au banquet des anciens élèves du collège Ste Marie, auquel j'ai droit d'assister gratuitement, en vertu de la médaille que j'ai gagnée, comme étant sorti le premier de mon cours classique. Nous nous sommes bien amusés, comme vous pourrez en juger par le compte-rendu que publie la Presse d'aujourd'hui, 24 mai! Mais qu'est-il besoin de vous dire que votre image ne m'a pas quitté durant tout ce banquet.

Oui, pendant chaque discours, je me disais «Ah! si Attala était à mes côtés, pour rire avec moi, comme ce serait bien plus gai; si Attala partageait ces mets avec moi, comme ils seraient meilleurs.» Pour vous prouver que j'ai bien pensé à vous, j'ai apporté un programme du banquet, que je vous donnerai la prochaine fois que je vous verrai.

Enfin, Attala, mon beau trésor, une dernière nouvelle: j'ai une très grosse cause à préparer: c'est la défense d'un de mes cousins qui vient d'être poursuivi pour une servitude de passage. M. Archambault & moi sommes plongés jusqu'aux oreilles dans l'étude de cette affaire; et nous nous adjoignons l'honorable M. Angers comme conseil. Priez pour moi que nous gagnions!

Sur cette dernière page laissez-moi vous dire combien je vous aime, combien je vous adore; ma chère petite reine, ma chère petite... oh! vous savez bien quel mot tremble au bout de ma plume, que vous ne voulez pas que je vous adresse encore, mais que je vous répète cent fois par jours, dans les longs entretiens que j'ai avec votre souvenir. Attala, ma bien-aimée! que votre dernière lettre était belle, affectueuse; oui! je comprends maintenant que vous n'êtes pas froide, je comprends que vous saurez me rendre amour pour amour, caresses pour caresses, baisers pour baisers, quand Dieu aura béni notre union, quand vous serez devenue mon épouse bien-aimée. Ma chérie, aimez-moi toujours de toutes vos forces, vous avez vu quel immense amour mon coeur vous porte, je vous ai fait part de mes sentiments, de mes espérances et aussi de mes craintes. Ma chérie, ma mignonne, ne laissez pas un autre amour entrer dans votre coeur; garder tout votre coeur, pour votre Émery qui ne vit que pour vous aimer. C'est très malsain, vous savez, que de se promener le soir à dix heures avec des jeunes messieurs; fumer la cigarette est aussi bien mal. Si cependant, vous en voulez, dites-le moi et je vous en apporterai. Enfin, Attala, ma bien-aimée, sous ce langage léger, vous savez ce qui se cache de crainte, d'angoisses, d'inquiétudes. Ne ferez-vous pas en sorte de m'éviter la douleur d'entendre encore quelqu'un me dire: «Ce sont des amours d'enfants qui renaissent.» Que ce mot m'a fait souffrir! Attala, au nom du Ciel! ne m'abandonnez pas; aimez-moi, car votre amour est ma vie, ma joie, mon espérance. Oh! que je voudrais trouver un moyen infaillible de vous attacher à moi pour toujours! Mon bel ange, ne connaissez-vous pas ce moyen, ne me le ferez-vous pas connaître. Enfin, il faut me taire; mais comme mon coeur est encore plein. Ah! ne viendra-t-il donc jamais le jour où ce coeur pourra enfin prodiguer toute sa tendresse sans contrainte, sans peur de se faire abandonner plus tard, ridiculisé peut-être. Attala! non, vous ne comprenez pas encore combien je vous aime; je ne puis pas vous le faire comprendre maintenant. Plus tard, plus tard! Mon Dieu! que je m'ennuie loin de vous; et il n'y a pas encore une semaine que je vous ai quittée. Que Dieu m'aide! Attala, quand vous n'aurez pas de visite, quand vos promenades du soir vous le permettront, quand vous n'aurez pas de cigarette à fumer; alors vous m'écrirez, n'est-ce pas? Fasse le Ciel que ce soit avant jeudi prochain!

Émery à vous toute seule.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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