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Lettre du 24 juin 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 24 juin 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 24 juin 1901
À Mademoiselle Attala Mallette, Sainte Martine. Mon Attala adorée,

«C'est aujourd'hui la St Jean-Baptiste, réjouissons-nous en ce jour de fête» s'écrie-t-on de toutes parts; et moi je vous dis que c'est aujourd'hui un jour de deuil, & de désolation; et tandis que chacun est allé voir passer la procession, ou assister à une partie de quelque jeu, moi, je m'enferme dans mon bureau, et le coeur brisé, je vous écris! Hélas! c'était pourtant hier soir que j'avais le bonheur de vous contempler; c'était hier soir, ô ma chérie, que vous me répétiez avec un accent de sincérité qui chasse tout soupçon, que vous m'aimiez de toute votre âme; que vous m'aimerez toute votre vie. O! Attala, que je suis heureux auprès de vous! mais aussi que je souffre lorsque je pars, que je souffre lorsque je me vois réduit à vous faire redire par ce froid papier, l'ardeur dont mon âme est consumée pour vous. Je vous aime, entrendez-vous, je vous aime de toutes mes forces, d'un amour qui durera autant que ma vie. O! ma bien-aimée, comprenez bien que vous êtes indispensable à mon bonheur; comprenez, je vous en conjure, que sans vous ma vie ne serait qu'un désert sans ombre, sans fraîcheur. Maintenant, certes, je travaille ferme; bien des fois j'ai la tête brisée de fatigues, le coeur gonflé de dégoût; bien des fois je sens le découragement envahir mon âme, comme une marée montante; mais dans ces moments d'épreuve, la seule pensée que vous m'aimez bien, que le prix de ces travaux, de ces efforts, sera vous-même, suffit pour retremper ma force, pour faire renaître mon ardeur.

Si vous m'enlevez la perspective de cette récompense suprême, je vous le dis dans toute la sincérité de mon âme, vous m'enlevez le ressort de ma vie, le seul stimulant capable de me faire triompher des obstacles qui surgissent sur ma route. Vous ne ferez pas cela, ma bien-aimée, j'ai foi dans vos promesses, & sûr de votre amour, je suis prêt à braver les difficultés, je suis prêt à combattre quiconque s'opposera à notre bonheur; je suis prêt à me combattre moi-même.

Mon Attala chérie, je vous remercie de m'avoir dit si franchement combien vous détestez les gens prompts; la seule chose que je regrette qu'est que vous ne [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] me l'ayez pas dit plus tôt. Je profite de l'occasion pour vous prier de bien vouloir m'avertir aussi franchement de toute autre chose qui pourrait vous déplaire dans mon caractère. Voous savez ce que c'est que la vie, dites-vous, et vous sauriez me supporter avec mes défauts, dut [sic] la promptitude en être du nombre.

Eh! bien moi, je vous répète ici ce que je vous ai dit de vive voix, je ne veux pas être de ceux qu'on supporte mais de ceux qu'on chérit; je ne veux pas que celle qui voudra bien m'aider à supporter les épreuves de la vie, puisse dire seulement qu'elle n'est pas malheureuse, mais je veux à tout prix qu'elle soit très heureuse.

J'estime que vous rencontrerez assez de tristesse inévitable, sans que celui qui aura pour mission & pour devoir de vous aimer, ajoute encore à ces déceptions.

Et je vous redis ici, à vous que j'aime plus que je ne peux l'exprimer: «Je me corrigerai!» Je me corrigerai à tout prix, puisque sans cela, vous pourriez pleurer à cause de moi; je me corrigerai à tout prix, car je comprends plus que je ne l'ai jamais compris, «que les personnes promptes causent parfois beaucoup de peine». Et ce n'est pas quand nous serons unis que je commencerai ce grand travail, c'est tout de suite; car si je renvoyais cette lutte à cette époque, je craindrais la réalisation de cette autre parole si sage que vous m'avez dites hier soir: «Dans les premiers jours on surveille ces défauts, mais ensuite on se montre sous son vrai jour».

Eh! bien, je me corrigerai d'avance; et je suis heureux de vous dire que mes bonnes résolutions ont déjà été soumises à une rude épreuve & qu'elles sont sorties triomphantes. L'on m'a attaqué dans ce que j'ai de plus cher au monde, l'on m'a attaqué dans votre personne, et je ne me suis pas emporté. Hier encore, quiconque aurait osé tenir contre vous un semblable discours, eut-il été mon parent, mon frère, aurait soulevé dans mon âme la plus violente tempête qu'il ait jamais essuyée; mais aujourd'hui, après mes promesses, j'ai écouté patiemment et sans l'interrompre, celui qui parlait contre vous; et quand il a eu fini, sans colère, sans éclat de voix, j'ai commencé à réfuter un à un ses faux arguments, et je l'ai convaincu qu'il avait tort de vous juger ainsi.

Dites-moi, ma chère Attala, n'êtes-vous pas contente de votre petit Émery?

Vous savez combien je vous aime, vous le comprenez plus, après ce dernier voyage, que vous ne l'avez jamais compris peut-être; eh! bien je renoncerais à votre amour si je ne me sentais pas certain de me corriger de ce défaut qui vous fait de la peine. Et plutôt que de vous voir malheureuse avec moi, Attala bien-aimée, j'aimerais mieux me priver du bonheur de vous posséder, de vous sentir toujours prêt de moi, de pouvoir vous appeler à satiété mon ange, ma chérie, ma bien-aimée, mon épouse adorée; et pourtant, vous le savez, renoncer [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] à tout cela, ce serait renoncer à ma part de félicité ici-bas! Oh! vous ne savez pas encore quel trésor de tendresse, il y a pour vous dans mon coeur! « J’ai un bon coeur », m’avez-vous dit; et cette parole, m’a fait plus de plaisir que vous ne le croyez. Oui! j’ai un bon coeur; ceux que j’aime, je les aime bien; pour ceux que j’aime, je puis tout faire, et pour vous que j’adore, rien ne m’est pénible, ni difficile. Demandez ce que vous voudrez à votre Émery, au nom de votre amour & tenez-le pour accordé d’avance.

Attala bien-aimée, comment avez-vous dormi, la nuit dernière? savez-vous que je n’ai presque pas dormi. À trois heures environ, j’étais éveillé & je n’ai pas pu me rendormir. Mon coeur était serré comme à l’approche de quelque grand malheur. Jamais! jamais! je n’ai eu autant de peine à vous quitter.

Savez aussi que j’ai fait tout mon possible pour manquer mon train, sans pouvoir y réssuir.

Voilà les faits : M. & Madame Dumas allait à Beauharnois ce matin & Madame Dumas devait revenir seule avec la voiture : ce qui ne lui plaisait guère : Mes services étaient donc requis, en qualité de charretier. De cette façon, je passais encore la veillée avec vous! Mais il y avait bien des objections.

D’abord je vous avais fait mes adieux & j’étais quelque embarassé à la pensée de me représenter chez vous ce soir. Puis qu’auraient dit les gens, trois veillées plus une après-midi de suite. C’eut été vous exposer à entendre des cancans qui vous auraient «ennuyée». Puis je me rappelais que vous n’aviez pas insisté beaucoup pour me faire rester; et enfin la température était incertaine; or vous m’aviez dit positivement de m’en aller s’il pleuvait.

Pour toutes ces raisons, je me décidai à remettre la chose au soin du hasard. Je partis très tard pour prendre le train, je marchai très lentement, je m’arrêtai même plusieurs fois pour contempler les beautés de Ste Martine. Le train ne venait pas! Au lieu de prendre le chemin de fer, je fis le grand tour. Au détour de la rue, j’entends le train. «Dépêchez-vous, si vous prenez le train» me crie-t-on. Je fis semblant de courir, souhaitant dans mon âme de le voir partir; mais non! par malheur, il y avait beaucoup de bagage ce matin; et le misérable train, pour me narguer sans doute, m’a attendu, attendu, jusqu’au moment où je l’eus atteint. J’étais furieux! si je n’avais pas eu honte, j’aurais rebroussé chemin! Enfin hélas! nous voilà séparés; vous à Ste Martine, moi à Montréal & trois semaines; c’est-à-dire vingt-un jours, c’est-à-dire cinq cent quatre heures s’écouleront avant que j’aie le bonheur de vous revoir, probablement!

Mais permettez-moi de vous dire que vous avez été plus aimable, plus gentille que jamais pendant ce dernier voyage. Sauf votre petite colère contre votre malheureuse [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] modiste, tout a été parfait. Je suis enchanté de ma promenade en voiture; enchanté de votre conduite à mon égard pendant ce voyage; vous vous êtes montrée affable, aimante, un peu moqueuse sans être le moins du monde blessante; enfin, vous avez paru satisfaite, et pour moi cela est tout.

Et que dire de l’après-midi d’hier! Quel charmant tête-à-tête! que j’étais heureux. Plus encore que pendant notre tour de voiture, vous vous êtes montrée charmante, sans effort pour charmer; nous étiez joyeux sans éclats de rire; nous causions si simplement, comme des gens qui se comprennent si bien; en un mot, c’est une des plus belles après-midi de ma vie; et si je n’avais pas à la mémoire le souvenir de ce lundi de Pâques après midi, où pour la première fois vous m’avez juré de m’aimer toujours, je dirais sans hésiter qu’hier après-midi a été la plus belle après-midi de ma vie.

Hier soir, c’était la soirée d’adieux & malgré l’amère tristesse qui torturait mon âme, je ne pouvais pas m’empêcher de me trouver heureux. Oh! je vous aimais tant, & vous paraissiez tant m’aimer! et je sais bien que vous ne le paraissiez pas seuleemnt, mais que réellement vous m’aimiez. Ma chérie, soyez bénie pour toute la félicité que vous apportez à mon pauvre coeur! Oui! je sais maintenant que c’est avec sincérité que vous me jurez un amour aussi durable que votre vie; et j’envisage l’avenir avec plus de confiance. Quelle tendresse ne déployez-vous pas pour écarter toute crainte de mon esprit au sujet de votre fidélité. Vous êtes admirable! oui! je sens que vous saurez m’aimer comme j’ai rêvé de l’être; oui, je sens que je pourrai vous prodiguer mon amour, mes caresses, sans craindre de rebuffades de votre part.

Est-il donc étonnant que je vous aime de plus en plus, lorsque de plus en plus j’apprends à vous apprécier, à vous estimer; comprenez-vous enfin que je dis vrai, lorsque je vous répète que si vous m’abandonniez, vous laisseriez un vide que nulle autre ne pourrait remplir.

Attala, mon seul bien, mon unique trésor, ma bien-aimée, mon bonheur, ma vie, une dernière fois en finissant cette lettre, je vous supplie de ne pas m’abandonner. Si vous m’abandonniez, vous ne pourriez pas être heureuse car le souvenir de mon désespoir vous poursuivrait partout. Soyez-moi fidèle, Attala; vous trouverez en moi l’ami le plus sincère, le plus affectueux, le plus dévoué; soyez-moi fidèle & je vous jure que vous serez heureuse.

Suivant votre promesse, j’attends une lettre jeudi matin, vous savez ce que je veux voir dans cette lettre : votre amour, l’assurance que vous m’aimerez toujours, que vous n’aimez que moi; dites-moi que vous avez confiance en votre Émery; si quelque chose vous déplait en moi, ô de grâce, dites-le moi, pour que je le fasse disparaître; de crainte qu’un jour, ce la ne devienne une raison pour vous de m’aimer moins, peut-être de m’abandonner; dites-moi enfin, ce que votre cher petit coeur vous dictera & gardez-vous bien de vous endormir en m’écrivant.

Donc une lettre belle ? longue pour jeudi matin; vous aurez la mienne, demain matin, quoique je ne l’aie promise que pour demain soir. Il est l’heure du souper presque, j’ai passé mon après-midi à vous écrire, hier je l’avais passé à vous parler. Oh! quand serez-vous donc à moi tous les jours, sans partage! Au revoir ma bien-aimée. Priez pour moi. Ah! c’est bien dur de revenir aux choses de la terre, après avoir passé deux jours dans un bonheur divin. Je vous aime, je vous aime, Attala; aimez-moi bien, écrivez-moi.

Votre Émery pour la vie.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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