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Lettre du 28 juin 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 28 juin 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 28 juin 1901
À Mademoiselle Attala Mallette

Mon Attala chérie,

Après le plus beau voyage, m’arrive la plus belle lettre que j’aie jamais reçue; aussi je ne me possède plus de joie, d’amour, et mon affection pour vous, atteint un degré inconnu. J’attendais beaucoup de cette lettre, j’ai reçu plus que je n’attendais; vous m’avez ouvert votre petit coeur bien-aimé plus que vous ne l’aviez jamais fait jusqu’ici; et j’y ai lu tant d’amour, tant de sincérité, tant de courage que je ne sais comment remercier Dieu d’avoir mis sur ma route un coeur aussi parfait pour m’aimer. Si seulement je puis être assez heureux pour le conserver. Soyez bien sûre que j’y mettrai tous mes soins; que je ne négligerai rien & que rien ne me paraîtra difficile pour arriver à vous attacher irrévocablement à moi, à pouvoir vous donner publiquement & pour de bon, les doux noms que je vous prodigue dans mes pensées .

Je me souviens de la parole que m’adressait mon professeur de Philosophie : «Émery, vous avez un coeur ardent; si vous rencontrez sur la route un coeur qui pourra comprendre le votre, une fille qui vous paraîtra capable de vous faire une bonne femme, ne négligez rien pour vous l’attacher; car il est probable que vous n’en trouverez pas deux.» Je trouve ce coeur en vous, chère Attala de mon âme, et je puis me rendre le témoignage que je n’ai absolument rien négligé pour me faire aimer de vous; et si malgré tout, il est quelque chose que j’omets & qui serait matière à vous inspirer plus d’amour pour votre pauvre petit Émery, de grâce, dites-le moi. Attala, Attala, ma bien-aimée, ma vie, ma mignonne, vous comprenez bien maintenant, n’est-ce pas, que je ne puis plus me passer de vous; que c’est en vous que se trouve mon bonheur; sans vous, ma chérie, mon avenir est brisé car je n’aurais plus la force d’affronter l’année terrible qui me sépare du terme; Attala, gardez-moi votre amour et mon succès & mon bonheur sont assurés.

Mon Adorée, une de mes grandes préoccupations consiste à toujours trouver quelque chose de nouveau pour vous faire plaisir; à plus forte raison, fais-je tous mes efforts pour me corriger de ce que vous détestez en moi.

Lundi, en priant la Ste Vierge de bénir nos amours & de me donner Attala, vous-même, pour épouse chérie, il m’est venue une idée, inspirée sans doute [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] par cette bonne Mère, & que je crois propre à me corriger de ma promptitude. J’ai pensé & j’ai décidé que chaque fois qu’il m’arrivait de me mettre en colère, je m’infligerais une double punition : d’abord je vous avouerais ma faiblesse, puis j’irais à confesse le plus tôt popssible; ainsi soutenu par la grâce de Dieu & mon amour pour vous, je vous assure que c’en sera fait de ma promptitude, lorsque luira le jour béni où devant Dieu, vous me jurerez l’amour éternel que doit l’épouse à son époux. Dites-moi si vous approuvez mon idée; dites-moi si vous êtes contente des efforts sincères que je fais pour mériter votre tendresse. O! Attala, je veux, entendez bien, je veux que vous m’aimiez, je veux que vous m’aimiez autant, lorsque nous serons unis l’un à l’autre. Vous le savez, pour beaucoup, le mariage est la fin des amours; c’est qu’une fois ensemble, ils s’imaginent qu’ils ne doivent plus rien faire pour se faire aimer, & que l’amour étant devenu un devoir, pas n’est besoin de s’efforcer de mériter ce qui nous est dû.

Eh! bien, il n’en sera pas ainsi de nous, n’est-ce [pas] chère petite Attala bien aimée? Soyez assurée que même alors, je ne négligerai absolument rien pour conserver votre tendresse; j’aurai autant besoin de votre amour une fois uni à vous que j’en ai besoin maintenant.

À quoi me servirait de vous posséder, si je ne possédais pas votre coeur, si vous ne me combliez pas de vos baisers tants désirés; si vous ne me prodiguiez pas de belles, belles caresses. Ma vie sera plus ou moins gaie, suivant que vous serez plus ou moins affectueuse.

Vous me demandez si je vous crois encore froide? Non, je vois maintenant que vous êtes affectueuse. L’êtes-vous assez? J’aime à le croire. Oh! sachez bien que je vous comprends lorsque vous me parlez de la réserve que doit avoir une jeune fille; sachez bien que je vous approuve. Sur ce point vous n’avez rien à vous reprocher, & moi j’y ai trouvé une raison de vous aimer de vous admirer de plus en plus. Il ne vous convient pas de vous accuser de faiblesse, vous dont le trait dominant est l’énergie, cette qualité si rare chez les jeunes filles & qui vous a signalé à mon attention comme n’étant pas une jeune personne banale.

Vous avez été très énergique; un peu plus de ténacité eut été de l’entêtement, dela froideur. Croyez-moi, Attala, votre conduite a été admirable, et c’est parce que je vous admire que mon amour est si profond & sera éternel. Ne dites plus : «J’ai été un peu faible» , se serait injuste, et il ne faut pas être injuste envers personne, pas même envers soi-même.

[Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] Ma bien-aimée, le Ciel vous favorise de vous accorder de si beaux rêves; moi, je ne rêve qu’abandon, infidélité de votre part, & déchirements de mon pauvre coeur. Mais pourquoi, Attala Chérie, pourquoi dire : «Cela n’est qu’un rêve qui peut-être ne se réalisera jamais? Pourquoi dire une chose aussi dure, alors que tous mes voeux ne tendent qu’à la réalisation de ce rêve; s’il ne se réalise jamais, Attala, c’est que vous ne le voudrez pas. Pour moi, je vous jure que je ferai l’impossible pour le faire se réaliser. Attala, je ne suis ni votre époux, ni même votre fiancé; mais je vous déclare que je me croirais aussi coupable en vous étant infidèle que si vous étiez mon épouse chérie; je vous répète solemnellement que je me conduis dès maintenant comme si je vous appartenais; je me considère même comme vous appartenant de fait & si je sentais naître l’ombre d’un amour pour une autre jeune fille, je combattrais ce sentiment comme un crime; je fuirais cette jeune fille comme un danger. Mais soyez tranquille, mon coeur est trop plein de vous pour que même cette ombre de tendresse puisse surgir pour une autre; mon choix est fait, il est fait définitivement, pour la vie devant Dieu & sur l’inspiration de ma Divine Mère; l’objet de ce choix vous savez bien que c’est vous, ô mon Attala adorée! Oh! que n’êtes-vous assiste tout près de moi! que ne puissiez-vous voir la flamme d’amour qui brille dans mon regard, l’accent de sincérité qui pénètre ma voix, & vous ne douteriez pas de moi.

Ah! vous me dites que si je vous délaissais, j’aurais le coeur le plus méchant, je serais l’homme le plus cruel au monde. Eh! bien, moi je vous dis que je serais pire que cela! Je serais l’être le plus vil, le plus misérable, le plus lâche, le plus criminel. Eh! quoi, Attala, mon amour, pour moi, vous auriez congédié tous vos amis, pour moi vous auriez consentie, ma chère petie reine adorée, à vivre comme une pauvre recluse, alors qu’il vous serait si facile de vous faire une suite nombreuse d’admirateurs, enfin, charmante Amie, vous auriez pour moi, refusé un bon jeune homme, une position avantageuse, «un bon parti» et moi je vous abandonnerais! Attala! il y a dans cette seule pensée quelque chose de si monstrueux, que vous ne devriez pas m’en croire capable, si vous avez la moindre estime pour moi. Ô! Attala, comme je vous aime, comme je vous admire; en trouvez-vous une jeune fille autre que vous qui aurait eu le courage de faire pour moi ce que vous, vous avez fait. Et croyez-vous donc que cela peut s'effacer de ma mémoire? Non! jamais, jamais, jamais. Attala, Attala! toute mon âme, toutes mes forces, toute mon énergie unies dans un suprême effort, vous crient «Je vous aime, je vous admire, je vous adore; oh! par pitié ne m’abandonnez pas!» Non, il ne faut pas prendre votre rêve au rebours, il est prophétique; c’est le Ciel qui vous l’envoie, afin que vous soyez confirmée dans votre résolution de m’être toujours fidèle; par un avant-goût, de ce que je serai pour vous, lorsque vous serez, ma compagne, mon épouse, ma femme.

[Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] Dans votre rêve, j’étais aimable, aimant, charmant, affable, complaisant; je vous aimais beaucoup, n’est-ce pas? Eh! bien, gardez le souvenir de ce rêve; et croyez-moi, lorsque ce rêve sera devenu réel – et il le deviendra, soyez-en sûre – vous trouverez que je serai encore bien plus aimable, aimant, charmant, affable, complaisant, que je ne l’ai paru dans ce rêve; et tenez bien bien pour assuré que je vous aimerai cent fois plus, en ce jour de notre mariage réel, que je ne vous aimais, au jour de notre mariage imaginaire. Car Attala, quelques grandes que soient l’affection, la tendresse, quelques affectueuses que soient les caresses que vous attendez de moi, lorsque nous serons l’un à l’autre; vous serez certainement déçue dans votre attente; car mon effection, mes caresses, mes baisers dépasseront tout ce que vous pouvez vous imaginer.

Mon Attala! n’est-ce pas que je vous aime comme un pauvre fou! Voyons! Voyons! doutez-vous du coeur de votre Émery, de celui qui dès maintenant vous appartient en toute propriété, de telle sorte que vous avez le droit d’en jouir, d’en user & d’en abuser, comme dit notre Code Civil.

Ma bien-aimée, comme je suis heureux de voir combien vous désirez me voir exempt de toutes craintes pour l’avenir. Savez-vous, mon beau trésor, que si vous me receviez toujours comme à mon dernier voyage, si vous m’écriviez toujours aussi régulièrement, & aussi affectueusement, je ne craindrais absolument rien. Je serais parfaitement heureux, confiant de vous, sûr de mon avenir!

Oh! si ce misérable hiver était passé avec ses bals, ses soupers, ses soirées, qui vont me prendre mon Attala, la précipiter dans les bras d’autres jeunes gens, la mêler au tourbillon des danseuses frivoles, coquettes, en quête de «cavaliers». Qui vous accompagnera dans ces soirées, qui rencontrerez-vous, qui inviterez-vous? Assez, assez! cela me fait trop souffrir. Si j’étais évêque de Valleyfield pour un an, j e défendrais tous bals, soupers, soirées etc, sous peine d’excommunication. Mais je ne suis pas évêque de Valleyfield & Attala ira danser!

Vous voulez que j’aille à Ste Martine, le 7 juillet! Allons, est-ce bien raisonnable, y aller le 7 & y retourner le 15; on va me demander si je viens mettre les bans à l’église. Comprenez bien, Attala, que rien, rien au monde ne me fait plus plaisir que de vous aller voir, seulement...

Enfin, si vous insistez, vu que je n’ai pas d’autre volonté que la vôtre, j’irai; mais je n’irai que veiller dimanche soir; attendu que je devrai passer par Beauharnois samedi; peut-être cependant, pourrais-je aller faire une petite visite dimanche après-midi. Enfin, vous n’irez pas loin ce jour-là. Mais tout cela est subordonné à la condition qu’iln fasse beau, samedi & dimanche. Cela vous va-t-il, mon beau trésor! Vous me ferez vos remarques sur votre prochaine lettre. Quand viendra-t-elle? Je ne fixe pas de jours, je veux voir combien de temps vous pouvez rester sans m’écrire, petite sans coeur (c’est pour rire, chérie). Quand vous laissez à mon coeur le soin de fixer la date de ma lettre, vous savez par expérience que je ne tarde pas; je vais à mon tour, laisser à votre affection le soin de fixer la date de votre réponse. Nous verrons bien que je vous aime plus que vous ne m’aimez.

Au revoir, mon cher Ange; vous ne sauriez croire comme il fait chaud pour étuder de ce temps-ci. Mais c’est pour vous que je travaille; et la chaleur ne me décourage pas; elle n’est pas plus forte que mon amour. Au revoir, chère petite Attala, à bientôt, charmant petit chérubin. Aimez-moi bien, je vous aime tant; priez bien pour que je réussisse; chère Attala de mon âme, soyez-moi bien fidèle, je vous appartiens sans réserve & pour la vie. Pensez souvent à

Votre Émery qui vous adore.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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