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Lettre du 4 septembre 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 4 septembre 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 4 septembre 1901
À Mademoiselle Attala Mallette Sainte Martine. Ma Bien-Aimée Attala,

Une lettre aujourd’hui mercredi! Ah! c’est trop de bonté, trop de gentillesse, d’amabilité! Vous êtes bien la plus délicieuse personne qu’on puisse rêver, quand vous voulez vous en donner la peine; comment voulez-vous que je ne vous aime pas à la folie, que mon amour ne s’accroisse pas tous les jours; ma mignonne, vous m’avez fait là un plaisir que vous ne soupçonnez pas; cette lettre toute courte qu’elle soit m’a procuré une joie que nulle autre n’avait produite dans mon âme. Comment, mon Attala adorée a su trouver au milieu de ses multiples occupations, quelques instants de répits, & ces quelques instants, au lieu de les employer à prendre un repos bien mérité, elle a bien voulu les consacrer à venir converser avec son cher Émery, qui l’aime de toutes ses forces! ce sont là de ces actions qui démontrent plus d’amour que bien des paroles; & qui plus que toutes les paroles me font sentir combien il est doux de vous aimer d’être aimé de vous.

Mon Attala chérie, vous avez un coeur bien tendre, vous aviez vu ce qui se cachait d’angoisse sous l’air raisonnable que je prenais pour vous dire d’attendre même jsuqu’à lundi pour m’écrire, si vous aviez trop d’ouvrge; vous aviez deviné, que séparé de vous pour deux mois peut-être, les premiers jours, la première semaine serait terrible à mon pauvre coeur débordant d’amour pour vous, chérie de mon âme, si vous ne veniez pas me consoler un peu par une petite lettre bien remplie de tendresse: cette petite lettre, je l’ai reçue ce matin; comme je vous en remercie! comme je vous en témoignerai ma reconnaissance le plus tôt possible! comme je vous aime bien gros, bien gros pour cela.

Mais pourtant, ma bien-aimée, quelqu’empressée qu’ait été votre lettre, il est une chose qui est arrivée avant elle: c’est l’ennui, l’ennui atroce, l’ennui barbare que rien ne peut dompter. Mon Dieu! mon Dieu! est-il donc vrai! Deux mois sans vous voir, deux mois sans contempler celle qui est tout mon soleil, toute ma joie, tout mon bonheur. Eh! quoi, pendant deux mois, je n’aurai pas un seul de vos regards si doux, si pénétrants, si affectueux, [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] et pendant deux longs mois, de vos sourires si tendres, je n’en aurai aucun. Ah! il faut que le devoir soit bien rigoureux, il faut que ma volonté de passer de bons examens, soit bien déterminée, pour m’obliger à m’imposer un tel sacrifice.

Je vous avoue même, que le devoir, la soif de réussir seraient impuissant à maîtriser mon amour si Dieu ne m’aidait de sa grâce, si la Ste Vierge, notre Mère bien-aimée à nous deux, ma chère Attala, ne me soutenait de sa bienveillante protection. Aussi, lundi soir, à peine débarqué des chars, sentant mon coeur se fendre à la pensée de la longue absence qui l’attendait, je me suis rendu à l’église du Gésu, revoir mes anciens professeurs, & puiser dans une bonne confession l’énergie dont mon âme sentait un si pressant besoin. Je suis allé à confesse, & dès que je me sentis réconcilié avec Dieu, me trouvant bien seul, dans la petite chapelle du collège, je n’eux pas honte de verser devant Dieu d’avondantes larmes mêlées à la plus ardente prière. Oh! que je priai avec ardeur, avec foi, avec confiance, comme je suppliai Dieu & la Vierge Marie, de me garder votre coeur que vous m’avez donné mais que seul je me sens incapable de conserver; de me garder votre amour; et lorsque je vins à verser dans le coeur de ma divine Mère, mes craintes au sujet de votre santé; lorsque je la suppliai de veiller sur cette santé si précieuse, sur cette santé indispensable à mon bonheur, mes larmes redoublèrent, ma ferveur augmenta. Enfin, Attala, je vous l’avoue, j’ai osé demander une autre faveur, couronnement de tous les autres; j’ai prié pour que Dieu me rende digne de vous posséder toute ma vie, j’ai prié pour que vous deveniez ma «femme chérie».

Et je sortis de la chapelle réconforté, confiant assuré d’être exaucé, plein d’ardeur pour l’étude, plein d’amour pour vous, plein d’espérance. Oh! non, la Ste Vierge ne repoussera pas ma prière, elle ne permettra pas que vous empoisonniez ma vie en m’abandonnant! Mon Attala, mon Attala, vous sentez-vous ce triste courage; l’amour sincère, sérieux, pur & ardent que je vous ai témoigné en toute occasion, vous semble-t-il mériter un tel traitement. Je vous le répète, mon adorée, vous ne savez pas combien je vous aime; si vous aviez mesuré toute l’étendue de ma tendresse, vous ne m’auriez pas fait cette peine de me croire capable de me consoler de votre perte.

J’espère qu’un jour vous comprendrez qu’il n’y a point d’amour comparable à celui que je vous porte; quand vous serez bien à moi, quand vous serez mon épouse chérie; vous trouverez dans le coeur de votre Émery, des trésors d’affection que vous ne soupçonnez pas encore; et pourtant vous avez dû avouer que jamais vous n’avez été [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] aimée comme vous l’êtes par moi. O! Attala ne m’abandonnez pas, sans vous, je ne puis plus vivre, comprenez-moi bien; pour vous je puis tout faire & pour vous obtenir, il n’y a rien de pénible.

Elle est donc commencée l’année terrible qui doit nous ouvrir les portes de la carrière. Je sais qu’elle sera rude, mais je n’en ai pas peur, car mon Attala m’aime, je sais que la fatigue m’accablera bien des fois, mais je vous jure que je ne faiblirai pas. Si je sais aimer, je sais aussi travailler. Si je suis allé vous voir souvent pendant la vacance, trop souvent disent bien des gens, c’est que je le pouvais, sans nuire à mes études, c’est que je préférais passer honnêtement mes loisirs, avec vous, mon cher ange, que de gaspiller mon temps, dans des amusements dont j’aurais plus tard à rougir. J’ai conscience de n’avoir rien fait de répréhensible; que m’importe le cancan; & si c’était à refaire, je ferais exactement de même.

Je viens continuer ma lettre. C’est donc aujourd’hui le jour de l’exposition à Ste Martine; je pense à tout l’ouvrage que vous allez avoir, aux fatigues que vous allez supporter & je vous plains. Je pense aussi que vous allez être bien entourée, bien admirée; que nombreux seront ceux qui brigueront vos sourires, vos regards, votre coeur, et j’ai peur. Pourtant non, je ne veux pas avoir peur. Ma chérie, je vous avoue que j’ai pleine et entière confiance en vous.

Vous me paraissez si sincère; j’ai vu tant d’amour et surtout tant d’énergie dans vos beaux yeux bleus, que je m’abandonne complètement à vous; mon bonheur, ma tranquillité, toute ma vie, je vous remets tout cela entre vos petites mains; Et moi, n’est-il pas vrai que vous avez pleine foi en moi. Vous savez quels serments solennels me lient à vous; vous savez que je ne crains pas de vous les répéter tant que vous voulez; enfin, je puis vous redire que je vous appartiens pour la vie; et je vous ordonne, au nom de mon amour, de n’avoir aucun doute sur mon affection inaltérable : Je suis à vous, à vous sans réserve; et c’est avec joie que je vous consacre tous les instants de ma vie. Dès à présent, je vous jure que nulle autre jeune fille ne fera battre mon coeur d’amour et de tendresse; je vous serai fidèle en pensée comme en désir; je vous garderai mon coeur comme si j’étais dès à présent votre époux, parce que je ne m’appartiens plus; je me suis donné à vous; vous avez accepté cette donation de tout mon être & je sais assez mon droit pour comprendre qu’une donation acceptée est irévocable, sauf pour cause... d’ingratitude.

Ce soir vous devez aller à Beauharnois, m’avez-vous dit; ne m’oubliez pas; prenez bien soin de vous. Vous ne me dites pas si votre rhume est guéri; n’oubliez pas de m’en informer dans votre prochaine lettre; n’oubliez pas les promesses que vous m’avez faites [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] de bien vous soigner & de ne rien négliger pour m’offrir de jolies joues roses à notre prochaine rencontre. Vous voulez, n’est-ce pas, chérie, que je réussisse dans mes examens; il faut absolument pour cela que vous ayez bonne santé. Si vous tombiez malade, l’inquiétude & l’angoisse me rendraient absolument incapable d’étudier. Songez à cela, & si vous m’aimez vraiment comme vous le dites & que je le crois, vous ne trouverez pas trop pénibles les petits sacrifices que j’attends de vous dans l’intérêt de votre santé & de mon bonheur.

Et maintenant , quand allez-vous m’écrire? Parce qu’une fois, vous vous êtes montrée plus diligente que je n’espérais, j’espère que ce ne sera pas pour vous un prétexte, pour me faire languir à l’avenir. Je n’ose fixer un jour pour vous demander de m’écrire, j’ai tant de fois été déçu par ma chère petite négligente. Seulement, je serais bien heureux si je recevais de vos nouvelles mardi, le 10. Faites votre gros possible, pour ne pas tromper mon attente, pour que l'inquiétude de me dérange pas dans mes travaux.

Vous me direz si vous venez à Montréal; quel jour & à quelle heure vous arriverez; si vous venez l’après-midi, je serai peut-être aux chars. Dites-moi où je pourrai vous voir à Montréal; téléphonez-moi en arrivant, et téléphonez tant que je n’aurai moi-même répondu ou qu’on ne vous aura pas assuré que l’on m’a fait la commission. Le Bell est Main 678 et le téléphone des Marchands, 237;

Enfin Attala chérie, n’oubliez pas de me donner des nouvelles de votre santé, qui m’intéresse plus que vous ne pouvez croire.

Je suis très heureux et très flatté de la bonne opinion que votre père a de moi; tel que vous me le dites dans votre dernière lettre; et cela, non seulement parce qu’il est le père de ma bien-aimée, de mon Attala chérie, mais aussi parce qu’il est homme de bien par excellence, joignant à un esprit cultivé, une profonde expérience des hommes & des choses. Quoi d’étonnant! «Tel père, telle fille» n’est-ce pas, mon cher petit ange, mon beau chérubin blond.

Lundi pass, à 8 heures du soir, j’ai rencontré M. Armand Simon avec Melle... vous ne savez pas, ... Melle Bolduc. Mad. Bolduc n’a pas prêché dans le désert; Mad. Bolduc a trouvé un terrain fertile où germera la bonne semence qu’elle est venue apporter à Ste Martine. Melle Bolduc, entr’autres qualités brillantes, est une héritière : grand bien lui fasse!

Lundi matin à 6 ½, vous étiez déjà en train de faire votre lavage; pauvre chérie, que les gens vous connaissent peu; mais moi je connais les trésors de votre âme, et c’est pour cela que je vous aime tant; pour cela, que je n’ai pas craint de vous jurer un amour aussi durable que ma vie; pour cela que je ne pourrais pas me consoler de votre perte; que je vous supplie de ne pas m’abandonner & que chaque jour, je conjure le Ciel de m’accorder la grâce de vous posséder un jour, sans partage; sans crainte, comme la compagne de ma vie, comme mon épouse chérie. Ah! ce mot, quel charme magique il possède, quel ardeur au travail, quelle soif d’arriver, il éveille dans mon âme. Attala! Attala, que je vous aime; ne me délaissez pas; aimez-moi, aimez-moi, pensez à moi, priez pour moi, écrivez-moi mardi,

Votre Émery qui vous adore.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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