Lettre du 25 septembre 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 25 septembre 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 25 septembre 1901
À Mademoiselle Attala MalletteMon Attala Adorée, Savez-vous bien que depuis plusieurs minutes, je suis empêché de vous écrire, par les larmes qui obscurcissent mon regard, savez-vous qu’au moment même où je trace ces premières lignes, mes yeux sont encore rouges par les larmes: larmes d’amour causée par votre lettre admirable de gentillesse, d’affection, de bonté, larmes d’ennui causées par votre séparation. Ah! ma chérie, je me croyais plus raisonnable; je ne puis pas me consoler de votre départ; je ne puis pas me résoudre à ma destinée qui veut que je sois ainsi toujours loin de ma chère bien-aimée, de celle dont seuls les regards peuvent mettre un peu de soleil dans ma vie ennuyeuse. Oui, dimanche, au moment où vous écriviez, j’étais à Ste Anne, mais à Ste Anne comme à Montréal, votre pensée me suivait & mon ennui me torturait. Hier encore j’étais à Ste Anne & au milieu de ces fêtes splendides, tandis que la joie rayonnait sur tous les fronts de ces archevêques, évêques, prêtres & laïques qui m’entouraient; malgré les feux d’artifices & les discours prêchant le bonheur; moi je pensais à mon Attala & mon coeur se tordait d’angoisse à cette pensée, et lorsque soudain une fanfare éclata sous les fenêtres du presbytère, en notes enivrantes, je sentis devant cette foule en délire, les larmes me monter aux yeux. O! mon Attala, mon ange bénie, mon seul bien! que je suis malheureux loin de vous; que je suis déraisonnable dans ma douleur. Il me prend de folles envies de courir, de me jeter dans vos bras, ne serait-ce que pour cinq minutes, pour entendre de votre bouche adorée ce mot d’ivresse: «Je vous aime & je vous aimerai toujours». Quelles étaient douces ces paroles d’amour que vous m’avez répétées bien souvent, à votre dernier voyage. Que vous avez été bonne pour moi, affectueuse, consolante! J’attendais beaucoup de cette circonstance, mais votre bonté & votre tendresse m’ont encore donné plus que j’attendais. Ah! merci, merci, vous ne savez pas quel bien vous avez fait à mon coeur altéré d’affection, vous ne savez pas quelle douceur vous avez attachée à ma vie pendant ces quelques jours; vous ne savez pas quel redoublement d’amour vous avez causé par votre présence ici, par votre conduite charmante à mon égard. Je comprends bien maintenant la vérité de cette thèse de philosophie nous démontrant que l’âme humaine possède une puissance [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] infinie d’amour. Que de fois, il m’a semblé que mon amour pour vous était à son extrême limite, que mon coeur n’était pas capable de vous aimer plus que je vous aimais; et cependant mon affection augmente toujours, et mon affection, il me semble, a redoublé d’un seul coup pendant votre court séjour à Montréal. Ma bien-aimée, vous me remerciez du cadeau que j’ai eu le bonheur de vous offrir, j’accepte ces remerciements; ils témoignent que j’ai atteint le but que je me proposais: vous faire plaisir. Mais ce que je n’accepte pas, ce contre quoi je proteste de toutes mes forces: ce sont les reproches que vous vous adressez à vous-même, d’avoir été trop exigeante. Attala, si je vous ai offert ce cadeau, c’est parce que je le pouvais, et je vous l’ai offert non pas avec l’argent de mes parents, mais avec le mien, gagné par mes travaux, gagné en vous aimant. Ce bien vous appartient donc & vous avez raison d’y puiser à larges mains. Vous craignez d’avoir été déraisonnable & moi, plus j’y songe, plus je suis heureux d’avoir fait ce que j’ai fait; d’avoir réuni en un seul cadeau qui remplissait tous vos désirs, différents petits cadeaux, cadeaux de fête, cadeau du jour de l’an, cadeaux de Pâques, dont peut-être aucun ne vous aurait fait plaisir & qui m’auraient coûté aussi cher. Et d’ailleurs, pour combler le déficit causé dans mon budget, par cette dépense imprévue, j’ai recours à la politique de l’économie personnelle, aux taxes directes, taxe sur ma paresse, en me rasant moi-même au lieu de m’exposer à attraper quelques maladies, dans nos boutiques de barbier; taxe sur ma gourmandise, en me privant de tels fruits dont je puis parfaitement me passer sans me porter plus mal; taxe sur ma vanité, en me privant d’une jolie cravate et que sais-je. Oh! ne vous récriez pas, mignonne bien-aimée, ne dites pas que vous regrettez de me voir soumis à ce régime, car je vous dirai que vous ne comprenez ce que c’est que l’amour. O Attala, vous ne savez pas quel bonheur j’éprouve chaque fois que je m’impose un de ces légers sacrifices; mais c’est la joie même de donner qui se répète qui se prolonge ainsi pour moi. Le sacrifice, mais c’est l’essence même de l’amour, c’est sa plus pure, sa plus irréfutable expression. Aussi, Attala chérie que ne ferais-je pas pour vous, moi qui vous aime au-delà de toute expression, et si vous m’aimez vraiment vous comprenez comme je dis vrai en vous affirmant que la joie de donner serait illusoire, si ce don n’impliquait pas quelque privation du donateur. Vous vous demandez quand vous pourrez me rendre ce que j’ai fait pour vous. Croyez-moi, ô ma chérie, mon Attala bien-aimée, croyez que j’ai reçu ma récompense dès l’instant même où je vous faisais ce cadeau; oui, le plus heureux de nous deux c’était bien moi, lorsque je vis monter à vos joues tant aimées, de belles couleurs roses causées par le bonheur de votre âme, de ces couleurs que je voudrais tant pouvoir fixer à jamais sur votre figure; lorsque je rencontrai de mon regard, votre regard chargé d’amour et de reconnaissance; oui dans cet instant j’ai reçu ma récompense. Et pourtant j’en veux une autre, et c’est à genoux que je vous supplie de me l’accorder, et cette récompense suprême, bien-aimée de mon âme; cette récompense [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] qui à elle seule et qui seule peut remplir toute ma vie d’ivresse indescriptible; ce n’est pas une montre en or, ce n’est pas une place dans votre souvenir, ce n’est pas même votre amour, - ce ne serait pas assez pour me satisfaire, cette récompense c’est ... vous-même. O! Attala, ma vie, mon trésor inestimable, mon tout, ce n’est pas avec des cadeaux que je crois vous avoir méritée, mais avec un sentiment dont ces cadeaux n’étaient qu’une expression : l’amour; l’affection la plus pure, la plus ardente, la plus durable. Attala! comme je serais heureux si je me sentais aimé par vous comme je vous aime; comme je serais heureux si un jour entre deux caresses je pouvais vous appeler mon épouse chérie. C’est à ce but suprême, ô ma chérie, que je conscre toute mon existence; Attala, Attala, du plus profond de mon coeur, je crie chaque jour vers le Seigneur, vers notre Mère Marie, leur demandant cette insigne faveur de pouvoir vous posséder à moi tout seul, pour toute ma vie, & à ce Dieu si bon, à cette Mère si tendre qui ne m’a jamais rien refuser [sic] je jure de consacrer toute ma vie, tous mes travaux, l’influence que je pourrai avoir, si seulement Ils veulent donner à leur pauvre enfant, pour sa part de bonheur ici-bas, son Attala adorée, avec une aisance suffisante pour la rendre heureuse. Ah! je ne demande rien de plus au Ciel; et j’ajoute, ô ma chère confidente, o! mon Attala de mon âme, que j’ai grande confiance, que j’ai la certitude d’être exaucé, si vous voulez bien unir vos bonnes prières aux miennes. O! mon amie chérie, prions, prions que Dieu nous unisse; prions de toutes nos forces que ce jour tant désiré arrive le plus tôt possible. Qu’ai-je besoin de vous répéter qu’il n’y a pas de bonheur possible pour moi, avant ce jour. Hélas! chaque jour en augmentant mon amour, augmente aussi & le supplice que me cause votre séparation & le désir d’une union réelle & perpétuelle avec vous, mon seul bonheur, ma bien-aimée Attala. Ma chérie, je suis touché bien profondément par le désir sincère que vous exprimez dns votre lettre de tout faire pour me plaire; de tout faire disparaître dans votre conduite qui pourrait nous empêcher d’être heureux. Je sais que c’est votre vaillant petit coeur qui vous a dicté ces belles paroles, mais je sais aussi que je ne dois pas les prendre à la lettre. Attala! si je voulais vous faire une malice, vous montrer que votre résolution de me plaire n’est pas aussi inébranlable que vous semblez le croire, je n’aurais qu’à vous demander une chose, une toute petite chose, et vous seriez bien forcé de m’avouer que vous ne pouvez pas me promettre cela, ou que vous ne pouvez pas le tenir, au cas où vous le promettriez; Mais ce que votre amour n’est pas assez puissant pour m’accorder, mon amour sera assez fort pour m’empêcher de vous le demander. Cependant, n’allez pas croire que je vous trouve sans reproche? Et si vous voulez savoir les griefs que j’ai contre vous, je me permettrai de vous dire qu’en tête de la liste de vos nombreux défauts, il faut inscrire votre pâleur! Oui, vous êtes trop pâle; et si vous n’avez pas de belles joues roses à la Toussaint, je vous dirai que vous ne m’aimez pas. Ne dites pas que cela ne [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] dépend pas de vous; que vous ne pouvez pas l’empêcher. Attala! Attala, cette paleur n’existe pas sans causes; faites disparaître les causes, vous ferez disparaître les effets; et ces causes, vous les pouvez faire disparaître d’autant plus facilement qu’elles ont à peu près toutes, leur origine dans votre négligence, votre indifférence, votre manque de soin. Vous aimeriez à vous asseoir sur la galerie, le soir; pensez que cela déplaît à votre Émery; les remèdes à prendre sont peut-être bien amers, ou dans tous les cas, c’est pénible de s’astreindre à les prendre régulièrement, faites-le par amour pour celui qui peut tout faire pour vous; c’est ennuyeux de jeter quelque chose sur ses épaules chaque fois qu’on a quelque chose à faire dehors; oui, mais votre Émery vous en conjure. Ah! que c’est bon de danser, danser un «set» puis un autre «set»; puis un troisième & cela jusqu’au matin; pui, mais votre Émery va pleurer; dites, voulez-vous qu’il pleure de vous voir malade, lui qui pleure de votre absence. O! Attala chérie, si vous m’aimiez assez pour surveiller chacune de vos actions et la diriger vers votre rétablissement, si vous m’aimiez vous aussi au point de me sacrifier et votre négligence & votre manque de soin; comme elles reviendraient vite à vos joues adorées, cet brillantes couleurs qui leur allaient si bien l’hiver passé. Vous le voyez, si vous êtes encore pâle, au mois de novembre, c’est que vous ne m’avez pas assez aimé pour vous sacrifier pour moi. Que me servira de prier chaque jour pour votre santé, si vous ne voulez rien faire pour aider le Ciel. Attala, ma petite reine, «si vous mourriez, je serais vite consolé», dites-vous; c’est sans doute pour cela que je prie si ardemment la Ste Vierge de me conserver mon Attala en bonne santé; c’est pour cela, sans doute, qu’il ne se passe presque pas de jour, sans qu’une inquiétude mortelle, me torture le coeur à la pensée que je pourrais vous perdre; pour cela, que je ne communie pas une seule fois, sans confier à Jésus dans l’Eucharistie, mes craintes au sujet de votre santé; et que je supplie en pleurant de vous rétablir complètement. Ah! vous avez dit là une méchante parole, qui me démontre ce à quoi je devrais m’attendre de votre part, si je partais de ce monde. Avec quelle rapidité l’oubli envelopperait votre souvenir; que votre coeur serait prompt à chercher sa consolation dans un autre coeur. Chassons ces sombres pensées; Dieu est bon; il nous gardera l’un pour l’autre. Ma bien-aimée, quand recevrai-je une réponse? Lundi ou mercredi? Votre amour vous inspirera. Au revoir, mon cher ange; n’oubliez pas votre petit Émery qui pense à vous continuellement & qui prie bien pour vous; O! mon Attala, ne lui enlevez pas votre amour, ni votre coeur, puisqu’il ne peut pas vivre sans cela. O! ma mignonne, mon Attala! aimez-moi, de grâce, aimez-moi, toujours de plus en plus. Vous savez combien je vous aime: mes oeuvres vous l’on dit; ne m’oubliez pas. Priez pour moi, pour que Dieu me donne le courage de rester ferme à mon poste, de travailler vaillamment à l’édification de notre bonheur. Mon Attala! vous ne savez pas combien je m’ennuie loin de vous, combien j’ai hâte d’arriver à la Toussaint. Que c’est loin encore; n’allez pas d’ici là oublier
Votre Émery pour la vie.
Donnez-moi des nouvelles de votre santé. |