Lettre du 1er octobre 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 1er octobre 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm] Une fleur pressée est attachée à ce premier folio
À Mademoiselle Attala MalletteMontréal, 1 octobre 1901 Mon Attala Chérie, «Vous n’êtes pas bien & vous avez eu peine à entendre la messe, dimanche.» Ces mots, ma bien-aimée, n’ont cessé de résonner lugubrement à mes oreilles, depuis que j’ai reçu votre lettre, et les larmes qu’ils m’ont arrachées sont les plus amères que j’aie jamais versées. Vous n’êtes pas bien, dites-vous, pauvre chérie, mais moi qui connais votre énergie, qui sais avec quelle ténacité vous persistiez à dire que vous vous portiez bien, lorsqu’il était évident pour tout le monde que votre santé laissait beaucoup à désirer; moi qui sait bien que ces quelques paroles, dans votre bouche, signifient que vous êtes mal. Aussi, je ne puis retenir mes larmes. J’ai pleuré sur la rue, comme un pauvre enfant, en lisant votre lettre, j’ai pleuré à mon diner, j’ai fondu en larmes une fois seul dans ma chambre; et maintenant encore que je vous écris, ces yeux qui se sont tant de fois complus à vous adminer, sont rougis par les pleurs. Mon Attala, mon seul bien, mon espoir suprême; il est donc vrai que vous êtes malade! Pour moi, adieu la joie & les rires; ma vie est empoisonnée, mes études seront sans attrait pour moi; je suis là, indécis, énervé, faible, sans volonté que pour pleurer; et je ne retrouverai ma gaieté et mon énergie que lorsque je vous entendrai dire: «Ne craignez rien mon bien aimé, je suis guérie.» Que dis-je les pleurs ne sont pas mon unique ressource; pour vous j’ai su faire autre chose que pleurer; pour vous, ma mignonne, j’ai retrouvé ma ferveur première, j’ai prié, oh! que j’ai prié. J’avais à peine terminé la lecture de votre lettre que j’étais à genoux dans ma chambre, suppliant avec larmes notre Divine Mère que nous avons tant de fois priée tous les deux, de rendre la santé à mon Attala chérie. Mais cela n’était pas suffisant; je me rendis à sa chapelle de Notre Dame de Lourdes & là, je lui rappelai que dans cette même chapelle, j’avais à la sorti de mes études, mis toute ma vie sous sa protection, consacré toutes mes facultés à sa gloire, je luis rappelai, que dans cette même chapelle, je lui avais demandé sa lumière avant de m’engager à vous pour la vie & que je l’avais suppliée de mettre fin, sans retard, à ces amours, si elles ne devaient pas avoir pour couronnement une union éternelle; puis en souvenir de tout cela, je la conjurai de vous rétablir complètement; je me déclarai prêt à supporter toutes [deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] les souffrances que le Ciel voudra bien m’envoyer, si par mes souffrances je pouvais mériter la grâce de votre retour à la santé parfaite. Enfin, mon Attala adorée, je suppliai cette bonne Mère de m’inspirer par quelles promesses je pourrais lui être assez agréable, pour qu’elle m’obtienne cette grâce indispensable à ma vie: votre santé. Et je promis ce que me dictait cette bonne Vierge. Je ne vous dirai pas en quoi consistent ces promesses; mais sachez que de ce mois d’Octobre qui commence & qui s’appelle le mois du St Rosaire, je ferai un mois de prière comme jamais encore je n’en ai passé; sachez ma bien-aimée Attala, que de toutes mes souffrances, de toutes mes études & mes fatigues, de toutes mes prières, de toutes mes communions, je veux faire un bouquet magnifique que je déposerai aux pieds de Marie Immaculée, à la fin de ce mois, pour qu’en échange elle m’accorde votre retour parfait à la santé. Ce mois d’Octobre est le mois de Marie, j’en ferai aussi le mois de mon Attala. Oui, je m’abstiendrai de demander rien autre chose que votre santé, pour que toute l’attention du Ciel soit concentrée sur cette insigne faveur; je ferai taire tous mes autres besoins, devant ce besoin suprême que j’ai de vous posséder, & de vous aimer toute ma vie. Et d’avance, je puis vous affirmer que votre rétablissement est assuré! La prière est toute-puissante, surtout quand elle passe par Marie. Priez avec moi; mon Attala; prions avec confiance & persévérance, & nous reverrons revenir sur vos joues les couleurs normales de la santé qui y brillaient autrefois. Mais Attala, mon Attala, c’est à deux genoux que je vous supplie d’avoir grand soin de vous. Les enfants vous fatiguent, par pitié pour moi, n’en prenez donc pas soin; évitez toute lassitude; gardez-vous du froid, soignez-vous patiemment & courageusement. Hier vous avez dû aller voir le médecin; de grâce suivez fidèlement ses prescriptions; dites-moi, je vous en prie, ce qu’il pense de votre santé; vous savez quel intérêt j’y porte; & s’il ne vous fait aucun bien; ne tardez pas, venez à la ville où les célébrités médicales sauront bien maîtriser cette faiblesse qui vous mine. Attala, il vous faut vous rétablir à tout prix; & vous rétablir promptement, car l’ennui dans lequel je vis actuellement, me tue. Je vous supplie de m’écrire dimanche, au plus tard. Si vous êtes fatiguée ou si vous n’avez pas grand temps, écrivez-moi moins long, mais dites-moi bien ce que le médecin pense de votre état & dites-moi bien ce que vous ressentez, si vous vous sentez mieux ou plus faible. Veuillez, je vous prie, adresser dorénavant vos lettres au No- 1513, de la rue Ontario; attendu que je ne suis plus au bureau pour avoir plus de temps à consacrer à la préparation de mes examens. Minuit est sonné mon ange chérie, et j’ai beaucoup travaillé aujourd’hui, & j’ai beaucoup prié pour vous & je dois me lever de bonne heure, pour entendre la messe à votre intention; mais qu’importe, je ne puis me mettre au lit sans vous parler un peu. O! ma bien-aimée, comme vous seriez vite guérie, si mon amour était un [troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] remède efficace. Mais mon amour n’y peut rien; seule ma prière peut vous soulager; je ne m’en ferai pas faute. Vendredi matin, vous penserez à moi, chérie, & vous vous direz que votre Émery reçoit la Ste Communion, pour obtenir votre guérison. O! Attala, Attala, comme je vous aime! comme mon coeur est déchiré par cette inquiétude au sujet de votre santé! Je sais bien que vous n’êtes pas encore en danger, & que de bons soins ne tarderaient pas à vous ramener, mais vous avez été si négligente jusqu’ici que j’ose à peine espérer que vous comprendrez enfin l’importance de vous soigner sns retard. Ah! que n’êtes-vous à moi, mon ange; comme je vous ramènerais vite par mes soins empressés, par mon amour, par mes caresses; je sais que vous serez bien traitée par votre père qui vous aime beaucoup; mais votre père ne vous aime pas autant que moi. Si je ne puis prendre soin de vous moi-même, comme je le voudrais, je charge Marie de vous prendre sous sa garde; vous y serez en sûreté. Je suis allé chez M. Brunelle, dimanche passé & l’on m’a parlé de ma «cousine». «Savez-vous, me dit Madame Brunelle que votre cousine est une charmante personne.» «Madame, toutes mes parentes sont charmantes.» «C’est une cousine du côté maternel.» «Oui, Madame & maman elle-même est originaire de Ste Martine.» M’ont-ils cru, ou ont-ils vu dans mes yeux, dans mon maintien, dans mes manières, que j’avais pour vous des sentiments plus vifs que ceux d’un cousin ordinaire? Dieu seul le sait; nous saurons peut-être plus tard. Ma chère Attala de mon coeur, si vous voulez me faire de la peine, vous n’avez qu’à répéter encore que vous regrettez d’avoir accepté le cadeau que j’ai eu le bonheur de vous offrir. Vous gâtez toute ma joie, en envisageant les choses de cette façon. Je suis heureux entendez-vous, je suis heureux plus que je ne puis l’exprimer de vous avoir témoigné mon amour inaltérable d’une façon aussi évidente; heureux de la joie que j’ai causé à votre petit coeur tant aimé; et j’ai eu là un avant-goût du plaisir que j’éprouverai quand vous serez ma compagne inséparable & qu’il me sera donné de renouveler très souvent ces joies de celle que j’adore. Mais pour cela, ma mignonne petite reine, il vous faut vous rétablir tout de suite; car si vous tardez à revenir mieux, moi à mon tour, je vais certainement tomber malade : et ce sera votre faute, petite méchante qui avez négligé les conseils que je vous donnais dès cet été, & qui encore maintenant ne saura pas mettre à sa guérison toute l’énergie dont elle est capable. Mais, Attala, vous avez beau me faire souffrir, vous avez beau être une petite méchante, vous avez beau aller jusqu’à me reprocher mes présents; je vous aime toujours de toute mon âme. C’est toujours votre souvenir, qui me poursuit, votre image qui m’apparaît en rêve, votre amour qui me console, vous-même que je veux. O! Attala, ma chérie, mon bien suprême, avez-vous jusqu’à quel point vous possédez celui qui vous écrit en ce moment; savez-vous jusqu’à quel point vous êtes devenue nécessaire à mon bonheur; savez-vous qu’il n’y a rien, rien au monde qui me paraîtrait pénible un [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] si c’était vous qui me le demandiez. Mon Dieu! mon Dieu! que je vous aime, ô trésor de mon âme; qu’ils sont beaux les projets d’avenir que j’échafaude sur votre tête, et quel voile de deuil se répand sur tout mon avenir, à la pensée que vous pourriez venir à me manquer. Mais j’ai confiance que vous ne me manquerez pas. Oui! j’ai foi en vous, ô ma bien-aimée, ma chère mignonne Attala; je crois que votre amour est bien sincère & que vous n’auriez pas le courage d’abandonner votre pauvre Émery. Et puis, vous vous rétablirez, si vous êtes prudente et si vous unissez votre prière aux miennes. O! Attala, soyez bien convaincue que mon bonheur est attaché indissolublement à votre existence. Vivez, si vous voyez [sic] que votre Émery soit heureux; et prenez les moyens pour vivre longtemps, en parfaite santé. Encore une fois, écrivez-moi sans faute pour lundi au No 1513 de la rue Ontario; écrivez aussi court que vous voudrez, pourvu que je sache parfaitement votre état de santé. Que de sinistres pensées envahiraient mon esprit, si je ne recevais pas de nouvelles de vous, lundi. De grâce, si vous m’aimez, épargnez-moi de supplice. Je vous envoie un oeillet pressé à votre intention, & qui me vient de Ste Anne de Bellevue. Devinez qui me l’a donné en me recommandant d’en avoir grand soin? Une des nièces de M. le Curé! Vous voyez que j’en ai un soin extrême, puisque je le presse... et vous l’envoie. Enfin, il est commencé, ce mois à la fin duquel je dois avoir le bonheur de vous rendre visite. Oui, le 31 au soir, avec l’aide de Dieu, je serai à côté de mon Attala adorée, de celle que j’aime de plus en plus, de celle en qui se concentre toute ma faculté d’aimer. Oh! qu’il y en a long d’ici là; que de soupirs je vais pousser, que de larmes je vais verser avant d’arriver à ce beau jour. Mais nous y arriverons quand même. Et alors, si vous m’aimez bien, si votre santé revient & que vous joues redeviennent vermeilles; je goûterai pour quelques jours, le bonheur le plus parfait qu’on puisse rêver ici bas. En attendant, je me contente de l’espérance de recevoir une lettre lundi, une lettre qui m’assurera que je suis aimé de celle que j’adore; une lettre qui, je l’espère, me démontrera que je m’alarme outre mesure, sur votre état. Puisse ces espérances se réaliser! Au revoir, ô la plus aimable des jeunes filles, mon trésor unique, inestimable; à lundi, mignonne petite reine de mon âme. Je vous aime de tout mon gros coeur, puisse mon amour remplir votre tout petit coeur; pensez bien à moi & aimez-moi bien! Mon Attala, mon Attala, si vous m’aimez, ne négligez rien pour vous rétablir & dites-moi bien comment vous vous portez. Ma bien-aimée, vous vous obstinez à me dire que vous ne craignez pas les sacrifices, pour me prouver votre amour; eh! bien j’en ai un bien gros à vous demander, à mon prochain voyage; nous verrons bien si vous aurez le coeur de dire non à
Votre Émery qui vous aime plus que lui-même
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