Lettre du 24 octobre 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 24 octobre 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 24 octobre 1901
À Mademoiselle Attala MalletteComme votre lettre est dure, ma bien-aimée, comme elle est menaçante, comme elle est cruelle! Vous saurez à quoi vous en tenir à l’avenir; vous reconnaissez que vous vous êtes trompée en me croyant affectueux; vous me croyez volontaire & incapable de céder aux caprices les plus légitimes d’une femme: telles sont les douces choses que vous me dites. Eh! bien croyez-vous que je m’en vais vous démontrer l’injustice de chacune de ces paroles? Non! non; une seule parole servira de réponse à toutes ces accusations: Attala, Attala, ma mignonne petite reine, je vous adore, je vous chéris de toutes mes forces, de plus en plus; ma petite chérie je regrette amèrement la peine que je vous ai faite; non pas tant parce que je crois avoir outrepassé mes droits, que parce que j’ai promis de vous rendre heureuse. Vous avez pleuré, ô mon ange! vous ne pleurerez plus à cause de moi! Oui! quand même vous me feriez souffrir encore plus que vous ne l’avait fait, je n’userai pas de représailles; quand même vous abuseriez de ma bonté, pour retarder encore davantage à m’écrire, je vous écrirai, moi, bien fidèlement, bien régulièrement. Attala, je vous avoue que votre lettre toute méchante qu’elle est, m’a fait plaisir: c’est qu’au milieu de ces reproches, de ces accusations imméritées, j’ai découvert toujours vivace la flamme de votre amour, «Vous m’aimez, ma bien aimée; vous m’aimez toujours», que m’importe le reste. Grondez-moi tant que vous voudrez, dites-moi les plus vilaines choses, rien ne pourra m’empêcher d’être heureux, tant que vous m’aimerez bien sincèrement, bien ardemment. O! mon Attala! que mon coeur est heureux de pouvoir vous crier qu’il vous aime avec ivresse; que je suis content de n’avoir plus devant les yeux, ce vilain spectacle de votre retard si pénible dont la cause semblait être une diminution d’affection chez vous. Je me suis trompé, vous me le dites; j’ai foi en vous; vous accompagnez cet aveu de réprimandes, de réflexions amères: je vous en ferai repentir, petite méchante, non pas comme vous, par des paroles amères mais par un redoublement de tendresse, une telle profusion de soins, de caresses que vous aurez honte d’avoir douté de votre Émery, de celui qui vous appartient sans réserve et pour toujours, de celui qui vous est très fidèle & qui n’a qu’un désir suprême, ô mon ange chérie, vous posséder un jour à lui seul, pour toujours, et pouvoir essuyer toutes vos larmes par des baisers, consoler vos peines par des caresses, se dévouer pour votre bonheur à tel point que vous soyez forcée de demander pardon d’avoir douté de sa tendresse, d’avoir tenu ce langage amer qui semble dénoter de la rancune dans votre âme. Encore quelques jours, Attala bien-aimée; encore quelques jours, & je vous jure que vous constaterez d’une manière convaincante que je suis toujours votre Émery à vous seule, votre Émery bien affectueux pour sa toute petite Attala, si gentille, et qu’il aime chaque jour de plus en plus. [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] Il y a bien longtemps que je compte les jours qui me séparent de la Toussaint; et les quelques jours qui restent me semblent d’une longueur démesurée; mais que je serai bien récompensé de mes inquiétudes, de mes ennuis, si seulement, je puis rencontrer en vous cette chaude réception que je me suis plu à me figurer; si je puis trouver dans votre âme une tendresse qui pourra enfin assouvir cette soif d’affection qui m’a tant fait souffrir, depuis votre dernière visite. Comme vous êtes injuste en me faisant un reproche de n’être pas allé vous voir le 13 de ce mois; comme vous ne savez pas quel combat s’est alors livré dans mon âme, entre le devoir qui me commandait impérieusement de rester à mon poste & la voix de mon amour qui m’appelait vers vous! Cette lutte n’est-elle donc pas assez pénible, sans que vous la rendiez encore plus dure par vos reproches: Ne croyez-vous pas, ô la bien-aimée de mon âme, qu’il serait plus digne de vous, de votre énergie, de m’encourager à faire bravement mon devoir, puisque c’est le seul moyen de hâter notre union. N’avez-vous donc pas hâte de vous donner toute à moi, réellement & véritablement; ne désirez-vous pas, comme je le désire, l’arrivée de ce jour béni où nos deux coeurs n’en feront plus qu’un? Eh! bien, pourquoi me faire des reproches de ce que je travaille de toutes mes forces à l’accomplissement de nos plus chers désirs; croyez-vous, que votre Émery n’a pas plutôt besoin d’encouragement que de réprimande dans l’accomplissement de la lourde tâche qui lui incombe. Il faut que je passe mes examens, c’est la condition essentielle que je dois remplir, si je veux qu’un jour, vous soyez bien bien à moi, si je veux un jour goûter le bonheur suprême de vous presser amoureusement sur mon coeur en vous prodiguant les doux noms d’épouse chérie, de compagne adorée. Il le faut, je le veux! O! Attala! Attala! encouragez-moi comme une brave jeune fille doit le faire; priez bien pour moi; car je vous avoue que parfois mon courage faiblit, le dégoût remplit mon coeur; je suis tenter de tout abandonner, de faire n’importe quoi, pourvu qu’on me délivre de la persécution des examens qui me poursuit depuis que j’ai l’âge de raison. Dites-moi, ma bien chère Attala, comment pouvez-vous croire que c’est par goût que je suis resté dans ma chambre, entre mon code civil & ma procédure, lorsque celle que j’aime plus que tout au monde, m’appelait auprès d’elle; ne regrettez-vous pas d’avoir fait cette peine à celui qui vous chérit; ô ma petite reine, dites, me direz-vous encore ces pénibles choses. Vous me dites que deux mois sans se voir, est trop long et vous me priez de changer mon programme, au mois prochain. Nous discuterons cette grave question à mon prochain voyage et d’avance vous pouvez être sûre que je ferai tout ce qui sera possible pour vous faire plaisir. Vous me dites que l’affection que je vous ai fait voir n’est pas naturelle, vous me dites que je suis fatigué d’aimer, de prouver mon affection à celle que je crois chérir? Si je vous ai fait voir une affection que je n’éprouvais pas réellement pour vous, je suis donc un trompeur, un hypocrite, un fourbe? Est-ce bien cela que vous voulez dire? Je ne crois pas, quoique ce soit la conséquence logique qui découle de vos paroles. Je ne crois pas que vous ayez cette opinion de moi, car alors il n’y aurait plus de place chez vous, pour un peu d’affection; vous n’aimeriez pas un fourbe; et moi je ne me disculpe pas d’une telle accusation. Attala chérie, vous connaissez mieux votre Émery; vous savez bien qu’il ne vous trompe pas, qu’il vous aime toujours de plus en plus, ne l’avez-vous pas vu [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] se mourir d’angoisse, parce que vous étiez malade? N’est-ce pas une preuve bien naturelle d’affection? Vous ne croyez pas ce que vous dites; car si vous le croyiez, vous ne prendriez même pas la peine de me l’écrire, et vous avez raison. La vérité, Attala, la voici : nous nous aimons l’un et l’autre bien sincèrement, vous n’avez pas l’intention de m’abandonner, pas plus que je n’ai l’intention de le faire; nous espérons un jour être unis pour la vie; et nous constituons la Ste Vierge confidente & protectrice de nos projets. Seulement, un jour vous tardez à m’écrire, je pleure, je prie, je me lamente; à la fin je reçois une petite lettre me disant que vous n’aviez pas écrit, parce que vous étiez fatiguée. Là-dessus, comme je suis moi-même très fatigué, je retarde aussi longtemps que vous à écrire. Vous vous fâchez, charmante petite reine, et vous me dites de gros mots. Mais ni vous ni moi n’avons complètement tort, ni vous ni moi, n’avons complètement raison, mais je sais que vous ne m’en tiendrez pas rancune, que mon amour attirera votre amour; et dans quelques jours, tout s’expliquera, tout se comprendra et nous continuerons à marcher la main dans la main, vers le jour béni du couronnement de notre amour. Ma bien-aimée, n’est-ce pas qu’il en est bien ainsi. Vous ne me voulez pas tout le mal que vous semblez me vouloir; vous me pardonnez, n’est-ce pas; l’on ne peut en vouloir longtemps à celui qu’on aime. Que cet incident fâcheux disparaisse complètement de notre Ciel; il ne faut pas que les quelques heures que nous allons passer ensemble soient employées en reproches; nous en ferons meilleur usage; nous aurons de plus douces choses à nous dire. Je vous assure, o! ma bien chère Attala! que vous serez contente de votre Émery, que vous ne lui direz plus de gros mots comme ceux dont votre dernière lettre est pleine. Cependant, au milieu de vos reproches, j’en relève un que j’avoue parfaitement mérité: «Ne soyez pas égoïste» me dites-vous. Eh! bien, oui je suis égoïste, égoïste de votre amour que je veux tout entier, sans vous permettre d’en disposer la moindre partie. Je veux votre coeur à moi tout seul, je veux toutes vos pensées, toutes vos caresses: je suis le plus affreux égoïste de la terre. O! mon Attala, que je donnerais beaucoup pour vous rendre ainsi égoïste de mon amour; ce ne serait pas moi qui vous en ferais un reproche. Il faut que je termine, car je veux que vous receviez cette lettre aujourd’hui, samedi. Allez-vous être contente; ai-je fait diligence? Suis-je pardonné? Me recevrez-vous à bras ouverts, avec un coeur bien affectueux? Je saurai tout cela, jeudi soir, 31 octobre, à 7 heures. Mon Dieu! mon Dieu! que j’ai hâte de pouvoir exprimer combien je vous aime et de recevoir une réponse de suite & non après une semaine. Attala, ma chérie, ma bien-aimée, mon unique trésor, je vous jure que jamais je ne vous ai autant aimée! que jamais je n’ai été dans une pareille impatience de vous voir, de vous dire ma tendresse! Ma gentille petite reine, mon beau chérubin blond; c’est un vrai péché que de parler d’abandon, de délaissement de la part de votre Émery; vous n’en serez pardonnée qu’en vous excitant à la contrition & au ferme propos. Attala, Attala, moi aussi je vous aime à la folie; et je n’ai pas, comme vous, peur de l’écrire, de vous le crier de toutes mes forces. Je vous chéris, ô ma bien aimée, je vous adore et je vous supplie de m’aimer de toutes vos forces, de toute votre âme, de plus en plus. Au revoir, mon Attala de mon âme; mon Dieu, comme je t’aime, o! ma petite grondeuse; ma gentille petite despote. Aimez-moi bien, priez bien pour moi, attendez-moi jeudi, apprenez de moi à être égoïste de mon amour. Je vous aime, chérie, aimez bien
Votre Émery à vous toute seule.
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