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Lettre du 11 novembre 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 11 novembre 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 11 novembre 1901
À Mademoiselle Attala Mallette

Mon Adorée,

Il s’est écoulé à peine quelques heures depuis mon arrivée au pays de l’ennui, que déjà j’éprouve le besoin de converser avec vous, que déjà je commence joyeusement à remplir ma promesse de vous écrire pour mardi. Mon coeur est encore chaud de vos paroles carressantes; j’entends encore votre voix si douce, si suave à mes oreilles, je l’entends me redire votre amour, m’assurer de votre fidélité, me promettre une constance inébranlable; je l’entends mêler la raillerie à la tendresse, les doux reproches aux promesses enivrantes, les gais propos aux tristes confidences; et de toutes ces notes combinées résulte une harmonie qui me pénètre jusqu’au fond de l’âme. O! mon Attala bien-aimée, que je voudrais toujours vous voir telle qu’il m’a été donné de vous voir, hier soir, c’est ainsi que je vous veux, Attala, c’est ainsi que j’avais rêvé une compagne de ma vie; o! ma chérie! de grâce, faites que ce rêve devienne une réalité, que cette soirée d’hier soit l’image de chacun de mes jours; vous êtes la seule petite fée capable d’accomplir une telle merveille, soyez une fée bienfaisante & non pas une de ces méchantes fées dont la baguette ne s’exerçait que pour le malheur des pauvres mortels!

Que la vie est triste loin de vous, mon Attala, qu’elle est monotone. Priez pour vous ou, si vous le voulez bien, pour nous, étudier pour vous, vous aimer, voilà le programme de chacun de ces longs jours que je dois passer loin de vous; et comme extras, des inquiétudes au sujet de votre santé, des angoisses à cause d’une lettre qui n’arrive pas, des plaintes refoulées à cause de la froideur qui se glisse peu-à-peu dans vos écrits; des révoltes comprimées, de crainte de perdre le seul trésor de ma vie, et comme conséquence, des reproches sur mon manque d’indépendance. Et savez-vous bien, que six semaines doivent s’écouler avant notre prochaine rencontre! six semaines, mon Dieu! sans voir celle qui fait toute ma joie, celle en qui j’ai placé toutes mes espérances! Six semaines! et comment trouverai-je mon Attala, au bout de ces six semaines! Quelle mauvaise nouvelle m’apprendra-t-on! quelle peine éprouverai-je?

Mon Attala bien-aimée! rappelez-vous vos promesses! rappelez-vous mon amour! vous m’aimez, dites-vous, eh! bien prouvez-le par votre conduite! que votre bouche ne soit pas en contradiction avec vos actions; chère Attala, chère Attala, rappelez-vous que vous m’appartenez comme je vous appartiens, que nous sommes l’un à l’autre pour la vie; que vous êtes mon Attala, comme je suis votre Émery; et qu’il doit vous paraître un devoir de faire pour moi, ce que je fais pour vous.

Oui!, j’ai foi en vous! je mentirais si je disais le contraire; il me semble impossible que le mensonge prenne ces accents de vérité qui vibraient dans votre voix lorsque vous me juriez une fidélité inébranlable; et puis vous savez faire passer tant d’énergie dans vos yeux d’ordinaire si doux! Mais cette confiance, seul encouragement, dans mes pénibles travaux, exige [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] pour se soutenir, de constantes preuves de tendresse.

Eh! mon Dieu! qu’y a-t-il de plus doux que de prouver sa tendresse à celui qu’on aime. Pour moi, ô ma petite bien-aimée, chaque fois que je puis vous faire plaisir j’en éprouve une satisfaction indicible; un sourire de remerciements sur vos lèvres bien-aimées, une expression de bonheur sur votre figure adorée; un éclair de joie dans vos beaux yeux bleus, sont pour moi la plus douce récompense. Oh! dites-moi, n’en est-il pas ainsi de vous, n’êtes-vous pas heureuse du bonheur de votre Émery et ses chagrins, surtout, quand vous en êtes la cause, ne vous attristent-ils pas?

Pour moi, mon cher Ange, depuis le jour où je vous ai juré un amour éternel, depuis le jour où je me suis donné à vous; je n’ai eu, dans toutes mes actions qu’un but, vous prouver que j’étais sincère, conserver votre tendresse. Je me suis parfois trompé dans les moyens, parfois ma bonne volonté m’a attiré des reproches; mais mon intention est toujours resté irréprochable.

Tantôt, vous m’avez traité d’homme «volontaire» et lorsque je veux amender ma conduite je tombe dans un excès contraire qui me vaut le reproche de n’être pas assez « indépendant »; et entre ces deux défauts, mon coeur, ne cherchant qu’à gagner votre tendresse, hésite, tâtonne, ne sait à quel saint se vouer. Ah! s’il est dûr de conquérir un coeur de femme, je vous dis moi qu’il est cent fois plus ardu, de le conserver, de fixer ces papillons qui ne cherchent qu’à butiner de fleur en fleur; et malgré moi je me rappelle ces vers du roi François I, un vrai connaisseur de femme celui-là, dans ces deux vers, que je ferai un jour graver en lettre d’or:

Souvent femme varie
Bien fol est qui s’y fie.

Je vous quitte un instant, en la bonne compagnie du roi François I, pour aller étudier un peu de code scolaire. À tantôt, ma chérie!...

Me voilà! minuit est sonné; mes études sont finies, mes prières dites, je n’ai plus rien à faire qu’à me mettre au lit; mais avant, je ne veux pas vous laisser plus longtemps en compagnie du roi chevalier; vous prenez goût si vite à la compagnie des autres que je viens, dussé-je vous paraître dépourvu à jamais «d’indépendance», m’interposer entre vous et lui!

«Je ne suis pas assez indépendant» savez-vous que ce reproche me revient sur le coeur. Eh! bien, vidons la question. Il ne faut pas croire que la seule raison qui m’a poussé à commettre ce crime atroce, fut l’excès incontrolable de mon amour! Non! non!

D’abord, une des considérations qui m’ont décidé, fut la honte de retourner tout de suite chez M. Dumas, la crainte d’être accablé de raillerie, & de sarcasmes; et puis, je voulait voir, constater de mes yeux une chose qui me taquinait depuis longtemps, & au sujet de laquelle de sombres rumeurs m’étaient parvenues: vos relations avec M. Mc Gowan. Que feriez-vous entre lui & moi? J’étais anxieux de le savoir; l’occasion était bonne, unique peut-être, il avait le premier avantage, puisqu’il avait su vous faire oublier que j’étais venu tout exprès de Beauharnois pour vous voir, sur vos instances réitérées; que feriez-vous en présence de celui à qui vous aviez promis votre foi. S’il fallait découvrir que votre amour faiblissait, mieux valait le savoir de suite; et sur la route solitaire, j’avoue que j’essayais déjà à me figurer une vie dans laquelle vous ne seriez pas, à me constituer un bonheur dont vous ne seriez pas le principe et la fin, et j’avoue aussi que je n’y parvenais guère. Il faut une indépendance comme la vôtre, Mademoiselle, pour pouvoir détacher son coeur de celui qu’on a juré d’aimer toujours, sans plus d’effort qu’on détache de l’arbre un fruit mûr, sans perdre un sourire, sans jeter un regard en arrière. Et si j’entrevoyais comme fort possible la perspective que cette rencontre serait la dernière de notre vie, je n’éprouve aucune honte à confesser, que mon coeur se serrait affreusement à cette pensée, que mon âme se mourrait d’angoisse & de douleur.

Vous savez quelles furent mes premières paroles à l’adres[Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm]se de celle que j’aime plus que moi-même!

Enfin, ma défense est finie; si vous persistez à voir un manque d’indépendance dans cet acte où d’autres verraient le fait d’un désespéré, jouant tout son bonheur dans une seule partie, je n’ai plus qu’à me soumettre humblement à votre décision dont il n’y a point d’appel : Mais en vérité, est-ce vraiment un crime à vos yeux, d’avoir hésité, d’avoir fléchi, si vous le voulez, à la pensée de vous perdre. Est-ce un crime de m’être dit qu’il ne fallait pas vous condamner avant de vous avoir entendue & que votre affection passée méritait bien le bénéfice de cette maxime appliquée aux plus indignes: «Nul n’est réputé coupable avant qu’on ne prouve sa culpabilité».

Est-ce un crime enfin, de vous trop aimer, de placer l’amour de celle à qui j’ai voué toute ma vie, au-dessus des qu’en-dira-t-on? En vérité vous semblez le croire! Un point, c’est tout.

Si c’est un crime, puissiez-vous vous en rendre coupable à mon égard & vous verrez quel châtiment mon code pénal sait infliger à ce genre d’offenses.

Bon cette fois, il faut que je la finisse cette lettre, car il faut que vous la receviez ce soir. O! mon Attala! quel beau rêve j'ai fait cette nuit; j'ai rêvé aux anges présents & futurs; j’ai rêvé à vous, j’ai rêvé que c’était la veille de notre mariage! Comme je vous aimais, ma bien-aimée, qu’il me tardais de vous appeler mienne, de pouvoir donner libre cours à mon affection toujours croissante, sans craindre de reproche. Je suis bien fâché de m’être réveillé! c’est si ennuyeux de songer qu’il est bien loin ce jour béni entre tous. Si du moins, je pouvais ne jamais douter qu’il ne devint un jour une réalité! Mais, hélas!...

Tenez, ce matin, je viens d’apprendre que pour l’examen de droit civil que nous avons subi, jeudi passé, je n’ai perdu aucun point. Rien d’étonnant: j’avais reçu une lettre de vous, une heure avant.

Que faites-vous aujourd’hui, par ce temps de chien? Pensez-vous à moi, pensez-vous que je vous écris; que je suis en train de remplir ma promesse de dimanche soir, comme d’ailleurs je remplis toutes les promesses que je vous fais.

Moi je songe comme il serait bon d’être prêt [sic] de vous pour chasser l’ennui que cette pluie traine après elle; c’est surtout quand la tristesse s’abat sur notre âme, qu’il est doux de se sentir aimé, de sentir la chaleur des caresses sur ses joues refroidies; & l’ivresse des baisers sur son front abattu. Comme je me sens seul dans cette ville où il y a pourtant tant de monde; mon coeur est comme dans une sauvage solitude, au milieu de tous ces visages indifférents dont aucun m’aime ni n’est aimé de moi. O! mon Attala, il est incommensurable, l’amour que vous avez allumé en moi, il me rend étranger à tout ce qui ne se rattache pas à vous de quelque manière; et tout ce qui est vous ou vient de vous me cause des joies immenses. Dès que mes études me laissent un moment de répit, aussitôt ma pensée se reporte vers vous. On s’étonne que je puisse renconter sur la rue, mes amis les plus intimes, sans les reconnaître; on ne s’étonnerait pas si l’on savait que ma pensée est absorbée par ma bien-aimée. C’est vous que mes yeux contemplent lorsqu’ils se fixent dans le lointain sur un objet invisible aux profanes; c’est une de vos saillies qui amène ce sourire sur mes lèvres; c’est la volonté de me faire promptement un avenir, de me bâtir un nid bien chaud, pour vous y recevoir le plus tôt possible, qui fait briller dans mon regard cette flamme d’énergie indomptable et si ma poitrine se gonfle de soupirs, si un nuage obscurcit mon visage, c’est que je songe que peut-être vous pourriez m’abandonner, c’est que je me rappelle une parole pénible sortie de votre bouche, une action qui m’a percé de coeur. En un mot, il n’est pas un sentiment de mon âme dont vous ne soyez la cause prochaine ou éloignée. [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] O! ma chérie, ô mon ange adorée, il me semble que si vous étiez bien convaincue de cette vérité & si vous m’aimiez comme vous le dites, vous seriez toujours pour moi ce que vous avez été dimanche soir, & que vous ne feriez plus jamais ce que vous avez fait en ce jour de triste mémoire, du 3 novembre courant.

Vous le dirai-je? J’espère que vous serez dorénavant plus attentive à me faire plaisir, j’espère qu’une ère nouvelle va s’ouvrir pour nos amours. Vous m’avez promis de ne plus me faire de la peine; vous avez mis un grand accent de sincérité dans cette promesse; vous avez une fois de plus constaté combien je vous aimais : toutes ces causes réunies me font espérer que vous ne permettrez plus à aucun nuage de venir assombrir notre ciel; que vous éviterez tout ce qui pourrait amener une rupture, un froissement entre nos deux coeurs qui s’aiment & qui se sont donnés l’un à l’autre. O! Attala, il est si suave de s’aimer sans interruption, sans brisure du coeur, sans inquiétude, sans reproche. N’y a-t-il pas assez de ceux qui nous haïssent pour nous faire souffrir, & faut-il encore que la douleur nous vienne de ceux qui nous sont le plus cher. O! ma chérie, ma bien-aimée, aimez-moi donc comme je vous aime; aimez-moi donc généreusement. Si vous saviez comme j’ai besoin d’être aimé; et cependant il n’y a que vous pour m’aimer; ou pour mieux dire, il n’y a que votre amour qui puisse satisfaire la soif d’affection qui dévore mon âme.

N’en soyez donc pas avare, donnez libéralement; vous en serez remboursée avec usure; n’en donnez qu’à moi, donnez-m’en toujours. O! ma petite reine, mon cher beau trésor, mes beaux yeux bleus, comme je vous aime, moi, comme je vous aime!

Allons, il faut terminer cette lettre! O! vous pour qui c’est une chose si pénible de m’écrire, vous ne savez pas la peine que j’éprouve lorsque j’arrive à la fin d’une lettre. Vous écrire c’est presque vous parler; et pendant que j’écris, il me semble que vous êtes là, penchée sur mon épaule, écoutant, souriante, mes paroles d’affection; c’est un peu le plaisir de votre compagnie que me procure une lettre que j’écris; et quand il faut terminer, j’éprouve quelque chose de ce serrement de coeur qui m’étouffe quand il faut vous quitter. Il me semble qu’une fois cette lettre partie, je serai plus séparé de vous, plus seule, plus isolée [sic]. O! vous mon seul bonheur, je vous en supplie, écrivez-moi pour samedi, suivant votre promesse. Faites l’impossible pour y arriver; ce serait trop pénible, si près de cette veillée où vous me promettiez de ne plus m’affliger, d’être plus empressée, plus attentive. Ne me forcez pas à douter de votre sincérité, de votre amour, de votre foi; Attala, bien-aimée, si vous m’aimez, écrivez-moi pour samedi au plus tard. Ne soyez pas méchante, ne soyez pas insensible. Ainsi à samedi une lettre pour le «pauvre» Émery. Mon Attala bien-aimée, ma mignonne petie reine, je cherche en vain comment faire passer tout mon amour dans cette lettre; o! je vous adore! & je veux vous adorer toute ma vie. Une lettre de grâce, pour samedi.

Votre Émery à vous seule.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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