Lettre du 11 mars 1902 | ||
Lettre du 11 mars 1902
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 11 mars 1902
À Mademoiselle Attala MalletteJe n’y tiens plus, il faut que je vous écrive; il faut que je vous dise combien je vous aime; depuis deux heures je cherche en vain à concentrer mon attention sur les beautés du droit romain; votre image chérie jette le désarroi dams mes conceptions légales; mon coeur est le plus fort & il déborde d’affection ardente pour mon Attala, pour ma gentille, mon aimable petite Souveraine: Attala, Attala, mon coeur tressaille d’émotion, il vibre de tendresse, il bondit de joie à la lecture de votre dernière lettre si affectueuse, si pleine de nobles sentiments, si digne de votre généreux caractère. Je reconnais bien mon idole dans ces lignes toute parfumées d’amour, toutes pleines de promesses d’une félicité céleste, que me réserve votre compagnie. O! mon Attala de mon âme, vous ne savez pas, je ne puis pas vous exprimer comme je le voudrais, tout le bonheur que j’éprouve de me sentir aimer [sic] de vous, toute la joie délirante qui inonde mon âme, à la lecture de ces gentilles missives dont vous trouvez le secret au fonds de votre âme noble, pure & tendre. Imaginez un peu ce que j’étais à faire, lorsque je reçus votre lettre lundi à une heure? J’étais à vous écrire; j’étais à vous reprocher votre abandon, votre oubli de votre Émery qui devient de plus en plus érpis de vous; Songez donc il était une heure & vos lettres ont l’habitude de m’arriver à une heure plus tôt, c’est-à-dire à midi; et depuis mardi que vous aviez ma lettre & j’avais dû faire un si violent effort pour vous écrire aussi promptement. O! mon Attala chérie, comme votre pauvre Émery a souffert, à cause de vous, de mardi le 4 mars au lundi, 11 courant; que de fois ne me suis-je pas arrêté au milieu de mes études, cherchant à me représenter ce que faisait ma bien-aimée, m’efforçant de lire les secrets de son coeur! Qui croirait-elle, de moi ou de mes ennemis? que penserait-elle de mes explications? les trouverait-elle satisfaisantes? me rendrait-elle son ancienne affection, ou n’était-ce pas là le commencement de son abandon? Ah! les amères pensées, les sombres pressentiments, les sinistres tableaux d’une vie sans soleil, sans lumière, sans amour; d’une vie sans mon Attala chérie, sans mon seul seul bonheur, ma seule joie. Et je me désolais, & je me recommandais à ma Divine Mère, la suppliant de m’épargner ce calice d’amertume, de toucher votre coeur, de me garder votre amour, de [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] m’apporter une lettre de vous. Chaque jour je l’ai attendue cette lettre tant désirée; samedi, j’étais presque sûr qu’elle arriverait; j’ai espéré jusqu’à la dernière malle; et lorsque je dus enfin me rendre à l’évidence, dois-je vous avouer ma faiblesse, chérie? je me suis mis à pleurer & c’est en pleurant que je me suis endormi samedi soir. J’ai honte à cette pensée; mais que voulez-vous, je ne puis pas me faire à la pensée de me passer de vous, maintenant. Je puis bien dompter la fatigue & forcer mon esprit à se fixer obstinément sur des études arides, onze à douze heures par jour; je puis bien mépriser la vie facile de la plupart de mes compagnons en étude; dédaigner les avances qu’on me fait & vivre comme un ermite au milieu du monde; mais du moment qu’il s’agit de vous, dès qu’un danger réel ou même imaginaire menace de m’enlever mon Attala, oh! alors, je cesse d’être homme, je deviens faible comme un enfant, je me désole, je me désespère, je suis le plus malheureux des hommes. O! mon Attala, ma chérie, vous aimez toujours votre Émery, comme vous l’aimez maintenant, n’est-il pas vrai; vous n’auriez pas, ma mignonne, laisser grandir cette tendresse que je vous porte, au point de devenir une passion, un besoin de mon âme, une seconde nature, si vous n’aviez été intimement convaincue, que vous sauriez répondre à tant d’amour, à tant de tendresse, à cet immense besoin de caresses & de baisers qui dévore mon âme; ma bien-aimée, vous ne pouvez plus me contraindre de vivre sans vous, maintenant que vous m’avez dévoilé tous les précieux trésors de votre coeur, toutes vos brillantes & solides qualités, toute votre tendresse, maintenant que vous m’avez fait voir en vous, l’idéal de l’épouse accomplie, bonne, dévouée, fidèle. O! mon Attala adorée, combien je vous aime! quelle ardeur, quelle vivacité dans ma tendresse pour vous; quel brûlant désir de vous voir, de vous posséder, me possède & me domine. Non! jamais je n’ai éprouvé une pareille hâte de vous voir; & cependant près de trois semaines me séparent encore de ce jour de joie ineffable; je vous aime plus que jamais, o! ma mignonne & je vous le prouverai, & vous verrez comme vous jugiez mal votre Émery quand sur la foi de rapports sans fondement, vous l’accusiez de refroidissement dans son affection. Et moi je vous dis en toute sincérité, que mon amour en est rendu au point que l’ombre d’un doute sur votre fidélité, que le moindre retard dans vos lettres me fait souffrir un douloureux martyre. Jamais, jamais, entendez-vous, ange chérie, jamais votre pauvre petit Émery n’a aimé aussi éperdûment, aussi déraisonnablement son Attala adorée. Ce beau rêve que vous faisiez, assise au coin du feu, il hante mon esprit continuellement; oui à chaque instant, je frémis d’ivresse à la pensée qu’un jour, jour béni entre tous, il me sera donné de prendre ma gentille petite Attala, de la mettre affectueusement sur mes genoux, & lui prodiguant les noms les plus tendres qu’un langage humain peut fournir, de la presser amoureusement sur mon coeur, de la couvrir de brûlants baisers, qu’elle me rendra à profusion, de lui prodiguer mille caresses enivrantes auxquelles elle répondra, sans hésiter, sans se lasser. Ah! mon Attala! mon Attala, que nous serons heureux ensemble, vivant toujours l’un près de l’autre & l’un pour l’autre, que je vous rendrai heureuse, que votre amour me rendra heureux! [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] Je ne pourrai vous voir, jeudi saint, comme je l’avais espéré! j’en suis bien afflligé. Mais il faut se soumettre, le jugement est final et sans appel. Votre père est maître absolu de son Attala; il le garde avec un soin jaloux, ce cher trésor de mon âme; mais advienne le temps où se [sic] trésor sera à moi & alors c’est de ma volonté qu’il devra dépendre pour vous voir & alors nous le ferons bien repentir d’avoir été si égoïste, si avare, en lui permettant de vous venir voir quand il voudra, même le vendredi saint, si le coeur lui en dit. Tout cela est pur badinage, comme vous voyez bien! je comprends parfaitement les motifs de cette prohibition; mon estime, j’allais dire mon amour pour votre père n’en est pas le moins du monde diminuée: Savez-vous que je vous aime tant, ô ma chérie, que mon affection s’étend sur tout ce qui vous touche de près ou de loin. Mais, maintenant, voyons; pourrais-je vous aller voir, samedi, veille de Pâques? Vous accompagnerai-je à la grande messe; ou ne vous verrai-je que dans l’après-midi ou même rien que pour la veillée de Pâques? Ma bien-aimée, je soumets toutes ces questions à votre décision souveraine; faites-moi mon programme; seulement, je vous recommande d’y inclure des visites à ma bien-aimée, aussi nombreuses, aussi longues que possible. Vous savez que vous voir, est le but unique de mon voyage; le reste n’est qu’accessoires, le reste n’est que temps perdu, temps passé à soupirer après l’instant de la prochaine visite. Dites-moi tout cela, mignonne petite reine, à votre prochaine lettre. Mon Dieu! mon Dieu que j’ai hâte de vous voir, de vous dire combien je vous chéris, de vous prouver mon affection délirante; que j’ai hâte de constater de mes yeux que vous aimez encore bien votre Émery, que vous lui êtes toujours fidèle. Oui! bien-aimée, j’ai confiance entière, absolue en vous & vous avez raison d’avoir une égale confiance en moi. Pourquoi me recommander de ne pas profiter de votre confiance pour vous en aimer moins? Vous savez bien que rien au monde n’est plus propre à accroître encore ma vive tendresse que de sentir que mon Attala s’abandonne à moi sans crainte ni réserve. Que pouvez-vous donc craindre de celui qui ne vous a jamais trompée, de celui qui vous appartient depuis longtemps, de celui qui vous adore, qui brûle du désir de vous posséder, de se dévouer complètement à votre bonheur. Mon Attala si tendre, si bonne, vous m’avez promis de ne plus me faire de peine; et cette bonne promesse que je sens venir du fonds de votre coeur chéri, me donne les plus douces espérances pour l’avenir; et cette promesse vous engage entre autres choses à ne plus douter de votre Émery, à lui écrire bien régulièrement, six pages à chaque lettre; à éviter tout ce qui pourrait servir de base à des rapports malveillants qui me torturent si vivement. Vous avez promis tout cela, et j’ai trop confiance en votre énergie pour croire que vous ne sauriez tenir vos engagements. Quant à moi, bien-aimée Attala, vous me demandez une chose impossible en me recommandant de laisser mon coeur à ma chambre lorsque je vais voir les jeunes filles; et cette impossibilité résulte de 2 causes: d’abord je ne vais pas voir les jeunes filles & vous le savez bien; ensuite mon coeur est toujours à Ste Martine, entre vos mains adorées; comment pourrais-je le laisser à ma chambre. O! mon Attala, je m’ennuie de vous comme un pauvre fou, je désire vous avoir avec une ardeur insensée; je vous aime, ô mon Attala, je vous chéris, je vous adore! Que faire, mon Dieu, pour me rendre à Pâques? Cette absence devient insupportable! O! mon Attala, je n'ai que vos lettres pour m'aider à passer le temps; écrivez-moi, écrivez-moi souvent & longuement. Vous n’irez pas chez votre oncle Vallée toutes les semaines. Tenez, j’ose vous demander une grande faveur; dites, allez-vous me l’accorder; voulez-vous, ma chérie, faire un gros, gros plaisir à votre pauvre petit Émery :«Oui» n’est-ce pas? Écrivez-moi pour samedi & moi je vous répondrai dimanche. le dimanche est la pire des journées à passer dans l’attente d’une lettre, tandis qu’il se passerait si agréablement à vous écrire. Mon Attala, mon Attala, allez-vous faire cette grande joie à votre Émery qui vous aime tant? J’ai confiance que oui. Maintenant un mot, j’ai $3.00 que je considere vous appartenir, que voulez-vous que je vous achète pour votre cadeau de Pâques? Vous me direz cela aussi sur votre lettre de samedi. Mon Attala, je voudrais prolonger encore ce doux entretien, mais je dois terminer si je veux que vous receviez cette lettre ce soir. Hélas, j’éprouve en terminant cette conversation, quelque chose de la douleur du départ. Quand donc ces douleurs ne seront-ils plus qu’un lointain souvenir de jours de calamités à jamais disparues. Chère, Chère Attala, que j’ai hâte de vous appeler mon épouse chérie, mon adorable petite femme, de vous prendre sur mes genoux, de rougir vos joues de baisers brûlants, de vous caresser amoureusement & de vous entendre vous écrier sous mes embrassements: «C’était bien ainsi que j’avais rêvé mon Émery.» De grâce, redoublez d’ardeur dans vos prières que ce jour arrive bientôt; Dieu est l’arbitre souverain des destinées & Marie est une véritable Mère, et elle le sera surtout pour vous qui n’avez plus de mère terrestre & qui êtes bonne, chaste & pure, comme je vous désire, comme la Ste Vierge aime les jeunes filles. Écrivez, n’est-ce pas, pour samedi, si possible, à
Votre Émery anxieux
|