Mes racines / my roots

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Compte-rendu de Robert Comeau

Le texte qui suit a été transcrit de celui trouvé
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Ce qui suit est un compte-rendu par ROBERT COMEAU, Département d'histoire Université du Québec à Montréal, du livre du père Jacques Cousineau, S.J. indiqué plus bas, trouvé dans la revue REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE, pages 335-342 ainsi qu'au site internet mentionné plus haut.




COUSINEAU, Jacques, s.j., L'Église d'ici et le social 1940-1960. Tome 1: La Commission sacerdotale d'Études sociales. Montréal, Editions Bellarmin, 1982. 287 p. 15,00$.

Quelques jours avant de mourir à l'âge de 77 ans, le Père Jacques Cousineau nous livrait un important témoignage sur l'évolution sociale et idéologique du Québec des années '40 à '60 et sur l'histoire de la Commission sacerdotale d'Etudes sociales (CSES) à laquelle il avait participé activement de 1945 à 1950 avant d'en être arbitrairement écarté par son Supérieur en 1952. La carrière du Père Cousineau fut tout entière consacrée au militantisme social. Il nous livre ici sa propre analyse comportant quelques épisodes moins connus de cette histoire de l'Eglise québécoise et de ses «travailleurs sociaux».

Après des études en sociologie à l'Université de Montréal et à l'École des sciences politiques de Paris, le Père Cousineau occupa divers postes à caractère social parmi lesquels il faut mentionner ceux de modérateur de l'ACJC, d'assistant-directeur de l'École sociale populaire, de rédacteur à la revue Relations, de professeur de Sciences sociales et de Droit à l'Université de Montréal, aux HEC, et à l'Université Laval. Pendant près de dix ans, il a été conseiller moral des Conseils centraux de la CSN, de Montréal et de Sorel, et de quelques fédérations de la CTCC. Le premier au Québec, il a donné un enseignement universitaire sur le syndicalisme.

Dans l'avant-propos de ce premier tome(1), il ne se cache pas de vouloir répondre aux «scribes de la nouvelle classe moyenne» qui ont fait un procès aux animateurs du mouvement catholique qui se sont inspirés de la doctrine sociale de l'Église dans les années '30, '40 et '50. Ayant participé à cette action de l'Église comme témoin et acteur engagé, il veut rectifier, preuves à l'appui, les faits et réécrire l'histoire sociale de cette période qui a précédé la «révolution tranquille»: découvrirons-nous alors que notre histoire ne comporte pas de discontinuité et que les années soixante marquent davantage un aboutissement qu'une rupture.

Ce livre intéressera les historiens issus de la «révolution tranquille» qui n'ont pas connu le duplessisme et qui pourront peut-être évaluer plus correctement le poids de ces penseurs sociaux anticommunistes qui ont été évincés par les élites religieuses et civiles d'alors pour avoir tenté d'orienter la pensée sociale de l'Église vers des réformes favorables au milieu ouvrier. Très lucide, il confesse: «J'étais considéré à l'époque comme un radical dans le milieu, qui me fit sentir sa réaction en m'ostracisant et en me faisant dévier de ma vocation orginelle» (p. 10).

Dans ce premier ouvrage, le Père Cousineau fait l'histoire de la Commission sacerdotale d'Études sociales, qui n'a été qu'un simple regroupement informel d'aumôniers au départ, en 1945, avant d'être reconnue officiellement par l'Assemblée des évêques en février 1948. Après la guerre, l'activité sociale du clergé s'est intensifiée et sans qu'aucune autorité n'ait planifié son existence et son orientation, quarante-cinq prêtres venus de douze diocèses se sont regroupés dans ce qui est devenue cette «commission sacerdotale». Elle tire ses origines des congrès d'aumôniers d'associations patronales et ouvrières du Québec qui se sont tenus à partir de 1945. Dans un premier chapitre, l'auteur décrit ces réunions de prêtres engagés qui prirent le nom, à partir de 1948, de «journées sacerdotales» et qui étaient ouvertes à tous les prêtres intéressés. La Commission, qui dépendait de l'Assemblée des Évêques du Québec, a fait un travail de consultations pour l'enseignement de la pastorale sociale, les coopératives, les syndicats catholiques, les mouvements d'action catholique et diverses institutions socio-économiques. On eut même recours à cette Commission pour recevoir ses avis sur des conflits de travail. Ainsi les évêques ont pu s'appuyer sur cette Commission «progressiste» face aux dirigeants d'hôpitaux qui étaient encore très réfractaires au syndicalisme.

Parmi ses membres fondateurs on retrouve des prêtres engagés dans l'activité sociale tels M. Paul-Emile Boité, p.s.s., le Père Emile Bouvier, s.j., directeur de la section des relations industrielles de l'Université de Montréal, le Père Jacques Cousineau, s.j., conseiller moral du Conseil central de Montréal et de quelques fédérations de la CTCC, l'abbé Gérard Dion, alors professeur au département de relations industrielles de l'Université Laval, l'abbé Charles-Omer Garant, aumônier de l'Association patronale des Services hospitaliers du Québec, l'abbé Orner Genest, aumônier des syndicats catholiques nationaux de la région du Saguenay/Lac St-Jean, et le chanoine Henri Pichette, aumônier général de la CTCC. Elle jouera un rôle particulièrement important dans l'opposition au «bill 5», projet de loi du gouvernement Duplessis, visant à modifier le code du travail en 1949, dans la grève de l'amiante et dans la publication de la lettre pastorale collective sur le problème ouvrier en 1950.

L'historien de la Commission distingue trois périodes: son rayonnement (1948-1950), son expansion discrète (1951-1959) et sa transformation institutionnelle (1960-1965). C'est durant le passage de Jacques Cousineau à la Commission de 45 à 50, que le rayonnement de la Commission prit une dimension imprévue et c'est sur cette période que l'auteur nous en apprend le plus.

Dans la première partie de l'ouvrage (128 pages), qui se veut plus objective, l'auteur dit s'en tenir à la description des faits; dans la deuxième partie (128-213), plus personnelle, il commente davantage les actions et les réactions ainsi que l'évolution des attitudes des autorités ecclésiastiques. La fondation de la Commission et son rôle très actif dans la défense du syndicalisme catholique n'est pas étrangère au contexte syndical très agité des années de guerre: les unions internationales, où militaient des communistes et qui prônaient l'atelier fermé — ce que la CTCC avait fait auparavant sans problème — menaçaient maintenant directement l'existence des syndicats catholiques. On ne trouve pas ici une explication de ces luttes intersyndicales mais plus une description caricaturale des unions internationales: le travail de Robert Haddow des machinistes par exemple, présenté comme un «immigrant de fraîche date, propagandiste à gages de tendance communiste et travaillant de connivence affichée ou sournoise avec certains employeurs» (p. 144) ou l'activité importante du «Conseil des Métiers de la Métallurgie» mis sur pied par d'efficaces organisateurs communistes pour syndiquer les ouvriers et ouvrières des usines de guerre sont présentés de façon très unilatérale et partisane. On ne dit rien de l'importante grève de 1943 à Canadair qui a constitué le plus important arrêt de travail numériquement parlant depuis la grève de Winnipeg. Par contre la grève de la Price présentée comme «la juste révolte des ouvriers catholiques contre les manoeuvres faites pour les contraindre à entrer dans les unions internationales» (p. 146) est longuement commentée.

En 1948, huit membres furent nommés par l'Assemblée des évêques du Québec (l'AEQ). Cette commission sera sous la présidence de Mgr J.-C. Leclaire, vicaire général de St-Hyacinthe. Le chapitre quatre décrit ses activités ecclésiastiques: journées sacerdotales, organisation du «dimanche de la justice sociale», consultations et travaux de recherche et arbitrages. L'orientation de la CTCC fait l'objet d'une attention particulière de la part de la Commission: on apprend, par exemple, qu'en 1951 le texte qui devint alors la déclaration de principes de la CTCC fut examiné en comité puis par le groupe, revisé puis adopté et enfin remis à l'AEQ, au début de 1952. Il en fut de même en 1956-1957 quand il fut question de la confessionalité de la CTCC. L'auteur dresse, au chapitre treize, un tableau impressionnant de toutes les initiatives d'éducation sociale à l'époque alors que le chapitre cinq décrit les publications de la Commission et leur impact sur le milieu. Les débats sur la «cogestion de l'entreprise» aux journées sacerdotales de 1947, dont le compte rendu ne fut publié qu'en 1949 après bien des remous, soulevèrent une véritable polémique. La lettre pastorale des évêques de 1950 qui endossera cette idée d'une participation graduelle des salariés aux profits et à la gestion ne reçut pas «l'accueil normal (sic) des dirigeants chrétiens d'entreprises» (p. 205). Cette brochure donna lieu à un débat entre Gérard Dion et François-Albert Angers qui manifesta également son désaccord dans Y Actualité économique. Quant à l'abbé Dion, il publia plusieurs articles dans le Bulletin des Relations industrielles en 1947-1948, qui parurent en volume en 1949 sous le titre Réformes des structures dans l'entreprise. Cette question de la participation ouvrière à l'entreprise endossée par la CTCC servit de prétexte aux employeurs de la Johns-Manville qui prétendirent que le noeud de la grève de l'amiante était cette «doctrine révolutionnaire», alors que le syndicat catholique voulait seulement que le droit de congédiement ne soit pas absolu, comme l'explique le Père Cousineau dans les deux chapitres consacrés à la grève de l'amiante (ch. sept et douze).

Ce livre apporte de précieuses informations concernant la grève de 1949. Par exemple, sur les démarches épiscopales de Mgr Courchesne, on trouvera, au chapitre sept, la publication intégrale et inédite de trois lettres adressées au premier ministre Duplessis (1er avril, 18 avril, 2 mai 1949) qui constituent un plaidoyer convaincant en faveur des grévistes. Le Père Cousineau rend public également, pour la première fois, les notes d'une entrevue accordée le 28 avril 1949 à Ottawa par Mgr Antoniutti, délégué apostolique au Canada, à trois ministres québécois. Il leur suggère d'en venir à une entente avec les évêques du Québec, d'agréer les demandes légitimes des mineurs et défend la même position que celle de la Commission sacerdotale.

L'A. fait remarquer qu'«on n'a pas assez souligné le lien réel entre le déclenchement de la grève et des articles percutants parus peu auparavant sur les maladies industrielles dans Relations (mars '48) et Le Devoir (janvier '49)» (p. 169). Dans l'analyse du rôle de l'épiscopat dans ce conflit, il tient à rectifier la fausse information suivant laquelle Mgr Charbonneau aurait été le seul à prendre ouvertement la défense des ouvriers (p. 174). Il démontre catégoriquement que l'appel public à une collecte générale en faveur des grévistes lancé par la Commission sacerdotale était appuyé unanimement par tous les évêques du Québec. Au sujet de cet appel à une collecte, on apprend que l'idée en fut peut-être exprimée ouvertement pour la première fois par l'abbé Lionel Groulx dans Le Devoir du 20 avril 1949. Il se plaît à rappeler que c'est seulement après le communiqué de la CSEQ, qui constituait un véritable affrontement politique, que l'intelligentsia, la direction de Cité Libre notamment, prit la parole contre le régime Duplessis (p. 175).

Les commentaires de l'auteur concernant le règlement final de cette grève sont les suivants: il n'aurait jamais pu survenir à ce moment-là et aux conditions obtenues sans la médiation de Mgr Maurice Roy. Non seulement la cause du syndicalisme catholique était-elle sauvée, mais «la conscience de classe qu'avait suscitée partout chez lui l'alliance patronale-gouvernementale qui aurait pu profiter aux communistes fut apaisée par la générosité des autres classes. [...] Le Canada français retrouvait son unité dans la charité, et le communisme était enrayé pour une génération» (p. 178).

Quant à savoir s'il existe un lien entre cette grève et le départ de Mgr Charbonneau comme archevêque de Montréal, Cousineau est catégorique: il juge calomnieux cette affirmation voulant que Duplessis ait obtenu de Rome le départ de l'archevêque. Parmi les «certitudes», il rappelle que l'audience du Pape Pie XII aux ministres Barette et Paquette est survenue après la décision pontificale notifiée à Mgr Antoniutti. Il attribue le départ de Mgr Charbonneau à ses piètres performances d'administrateur et à ses difficultés à collaborer avec les autres évêques du Québec. Mgr Charbonneau ne participait plus aux réunions de l'AEQ, qui se tenaient pourtant à l'archevêché où il logeait. Selon Jacques Cousineau, la racine de ses divergences se trouverait dans «ses origines ontariennes»: «il avait tendance par son éducation à faire évoluer le milieu québécois dans le sens ontarien (sic), ce à quoi des évêques nationalistes comme Mgr Desranleau et Mgr Courchesne s'objectaient avec vigueur» (p. 184). Pour mieux comprendre en quoi il était idéologiquement suspect aux yeux des «nationalistes», il faudra se plonger dans les Mémoires de l'abbé Groulx, ses vues rejoignant celle du Père Cousineau(2).

Plusieurs annexes de l'ouvrage se rapportent à la grève de l'amiante. Aux pages 255 à 271, on trouve un compte rendu inédit et fort intéressant d'une entrevue de trois heures que Maurice Duplessis a accordée à Mgr Leclaire le 5 avril 1949. Cette entrevue serait à l'origine de la reprise des pourparlers interrompus entre les parties. Ce compte rendu donne une bonne idée du comportement de Duplessis qui y déclare entre autres: «Au train où vont les choses, avec des curés et des aumôniers prêchant l'illégalité — et je pourrais les faire arrêter — il n'y aura plus de respect de l'autorité. [...] Il est temps que ça cesse. Nous allons droit au communisme.» Alors que Duplessis se vante d'avoir fait beaucoup pour les syndicats catholiques, on apprend qu'il a «donné de l'argent à Cousineau pour son Union des Marins» (p. 257). L'auteur explique en note qu'il a sollicité M. Duplessis pour pouvoir «payer des fiers à bras pour tenir en respect les premiers, soudoyés par des leaders communistes» (note 2, p. 257). La lutte au communisme ne se fait pas qu'avec des prières... Dans l'annexe J (p. 279) intitulé «Une opinion sur la grève de l'amiante», il rejette l'interprétation «marxiste» du conflit de l'amiante d'Hélène David(3). Il conteste son interprétation voulant que 1949 ait été à la fois lutte de classe et lutte de pouvoir entre la hiérarchie religieuse et l'Etat. Cousineau soutient qu'il n'y a pas de preuve pour affirmer que l'Etat, ne pouvant accepter la coalition des clercs et des ouvriers, se devait d'abattre le pouvoir clérical. Si l'épiscopat s'est opposé en quelque sorte à l'Etat ligué au patronat, jamais, selon l'historien, il ne s'est agi d'une «lutte de pouvoir»: «rien de plus farfelu et faux dirat-il, que d'affirmer que le règlement ait consacré l'émancipation de l'Etat par rapport à l'Eglise.» (p. 277)

Les autres interventions publiques de la Commission sacerdotale sont décrites au chapitre six (p. 82-91), où l'auteur trace un tableau précis du climat politique et social en ébullition de l'après-guerre: au mouvement d'émancipation des infirmières et à la grève des instituteurs de Montréal, s'ajoutait le «scandale de la silicose» qui avait ébranlé fortement l'opinion publique en 1948. Voici comment le syndicalisme catholique percevait ce contexte social explosif:

Les perspectives de la paix sociale paraissaient lointaines. Chez les gouvernants, l'on décelait un sentiment de crainte que les syndicats en croissance n'entraînent des désordres: une répugnance existait chez eux à accepter tout simplement les unions ouvrières; si on les acceptait, c'était à condition qu'elles soient impuissantes. Plusieurs employeurs manifestaient un désir de reprendre une autorité qu'ils avaient cru perdre durant la guerre quand la main-d'oeuvre était réduite. (...) Et du côté du clergé: Plusieurs d'entre eux jugeaient révolutionnaire toute revendication ouvrière, ou encore s'attachaient trop aux partis politiques comme tels ou avaient peur de perdre leurs relations suivies avec les puissants de ce monde, (p. 83)

La Commission intervint courageusement en appui au premier cartel syndical (CTCC, CMTC, CCT) constitué en 1949 pour lutter contre le «bill 5», projet de modification au code du travail constituant une véritable atteinte à la liberté syndicale. Gérard Picard, président de la CTCC, ne manquera pas de remercier la CSES, pour sa «contribution majeure» au retrait du «bill 5». Et lorsque le gouvernement réédite partiellement le fameux bill 5 avec son «bill 60», la Commission accepte de répondre favorablement à une demande d'intervention formulée par la «Conférence conjointe du travail syndiqué du Québec», nom que portait le cartel syndical. Cette intervention épiscopale constituait un fait nouveau dans l'histoire syndicale canadienne.

Une des réalisations les plus remarquables de la Commission sacerdotale fut sans doute la lettre épiscopale collective sur le problème ouvrier qui fut rendu public le 14 février 1950. Ce document inusité de 35 000 mots intervenait directement dans la conjoncture: «il se plaçait dans les perspectives concrètes de l'hygiène industrielle — sujet d'actualité — de la grève récente des instituteurs montréalais, de la présentation et du retrait d'un Code du travail, et surtout de la grève toute fraîche dans l'industrie de l'amiante» (p. 111).

Les chapitres huit et treize sont consacrés à cette lettre. À l'origine de ce projet d'intervention, il y a un fait survenu en juin 1948, à savoir l'expulsion du diocèse de Montréal du Père d'Auteuil Richard, s.j., par Mgr Charbonneau. Ce jésuite, directeur de Relations, avait endossé un article jugé séditieux sur la silicose. Ce cas de censure qui n'est pas raconté en détail ici, souleva l'indignation des membres de la Commission qui se sentaient menacés par un «coup de force» éventuel de la part des autorités ecclésiastiques ou politiques:

Il fallait une intervention collective, une déclaration péremptoire des autorités morales reconnues. Cette déclaration sur la liberté d'expression fut rédigée, mais peu à peu prévalut l'idée de l'intégrer dans un ensemble doctrinal sur les conditions nouvelles amenées par l'urbanisation rapide du Canada français, (p. 112)

Donc, l'idée d'une lettre collective était en marche bien avant la grève de l'amiante, tient à rectifier le Père Cousineau.

Parmi les enjeux, la lettre revendiquait pour les prêtres et laïcs engagés dans l'action sociale la liberté de signaler les abus de notre régime économique et demandait à tous les catholiques de «soutenir ces apôtres sociaux, d'appuyer avec courage et fermeté les légitimes revendications des travailleurs et les idées sociales des patrons chrétiens» (p. 193).

Encore une fois, l'auteur tient à nier la rumeur qu'il y ait eu division chez les évêques concernant cette lettre. Les deux points névralgiques qui devinrent objets de compromis furent la réforme de l'entreprise et l'hygiène industrielle. On y apprend que cette lettre connut un succès assez incroyable avec un tirage de plus de 100 000 copies, grâce, entre autres, à la propagande faite par les syndicats de la CTCC. Ce document étudié plus qu'aucun autre document ecclésiastique, ne reçut pas un accueil aussi favorable chez les politiciens: le ministre Barrette répondit qu'il n'avait de leçons à recevoir de personne alors que Duplessis ne répondit pas à Mgr Roy qui lui avait fait parvenir un exemplaire avec cette note rassurante: «vous constaterez, je le crois, que cette lettre n'a rien de révolutionnaire (...)»

Les chapitres neuf, dix, onze et quatorze font la synthèse des quatre périodes: la crise (1930-1939), la guerre (1939-1945), la contestation sociale des années 1945-1950 et l'évolution de la mentalité sociale de 1950 à 1960. Dans ses commentaires sur la vie politique et intellectuelle des années trente, nous apprenons peu de nouveau sur l'élaboration du programme de restauration sociale, l'organisation d'une campagne anti-communiste autour des années 1933-1935 ou le mouvement des Jeune-Canada. L'auteur veut manifestement réhabiliter les partisans du corporatisme. En 1942 il devient aumônier du Conseil central de Sorel. Au chapitre onze il raconte avec beaucoup de vivacité son implication personnelle comme promoteur du syndicalisme catholique à Sorel, de 1942 à 1945 et comme ardent militant anticommuniste. Il nous parle surtout de son travail d'éducation syndicale et des rencontres avec les prêtres et aumôniers impliqués dans l'action sociale. Il travaille à la promotion des cercles d'études à la CTCC, pour lesquels l'intérêt s'était accru depuis 1940. Pour assurer la promotion du syndicalisme catholique, il établira dans une maison de vacances de l'Ile Saint-Ignace en face de Sorel, ce qui prendra le nom de «collège du Travail» qui sera actif jusqu'en 1950. Il faut noter que c'est seulement en 1948 que la CTCC mit sur pied un service d'éducation syndicale. Pendant que du côté patronal, le Père Bouvier crée l'Association professionnelle des industriels, de son côté, le Père Cousineau joue un rôle important dans la fondation du premier syndicat de journalistes francophones en 1944 à La Presse. Se fondait à la même époque, à l'instigation du Père Georges-Henri Lévesque, le «Conseil Supérieur de la coopération». Du côté universitaire, le Père Cousineau enseignait à l'Université de Montréal et le Père Bouvier à l'Université Laval. La Commission sacerdotale participa donc à tout ce courant d'éducation sociale qui soufflait sur le Québec. Ces prêtres engagés devinrent aussi des intermédiaires entre le haut et le bas clergé et purent éviter la coupure entre les travailleurs et l'Eglise institutionnelle. Durant cette période, l'Eglise d'ici s'est solidarisée avec la classe ouvrière: c'est une des conclusions qui se dégage de l'étude de ce mouvement social.

Comment expliquer le tournant de la décennie cinquante? Déçu de constater que la lettre de 1950 qui aurait dû orienter les esprits dans le sens d'une société nouvelle à bâtir rencontra des obstacles qui empêchèrent la mise en oeuvre de politiques harmonieuses, l'auteur constate que «notre société a été ébranlée, fêlée sinon cassée à cause de l'espèce d'affrontement Église-État» (p. 198) de 1949. Il est surprenant de constater qu'il n'évoque pas le contexte politique général de la guerre froide et du maccarthysme. Les trois évêques les plus dynamiques de la Commission disparaissent: Mgr Courchesne de Rimouski décède en 1950 et Mgr Desranleau de Sherbrooke en 1952. Mgr Charbonneau démissionne en 1950. Des jésuites sont limogés: d'abord Richard d'Auteuil, Emile Bouvier en 1948, et en 1950, Jacques Cousineau. Il raconte le récit émouvant de sa propre destitution par Mgr Léger. Alors que Mgr Charbonneau l'avait nommé conseiller moral du Conseil central de Montréal et de fédérations syndicales de la CTCC: celle de la métallurgie, celle de l'imprimerie et celle des employés municipaux ainsi que des Syndicats de l'industrie du journal, Paul-Émile Léger, «considéré alors, dira-t-il, comme un conservateur» (p. 199) demanda au supérieur des Jésuites de l'éloigner de toute activité syndicale ou parasyndicale et de le retourner à l'enseignement, comme professeur de rhétorique à Québec, poste qu'il avait quitté depuis 17 ans. C'est avec beaucoup d'amertume, de tristesse et de lucidité qu'il raconte son évincement [...] Et en note, il ajoutera que «cet incident révèle une tendance qui ira en s'accentuant, les dirigeants syndicaux tenant à se désolidariser de tels procédés et déniant crédibilité à ceux qui y avaient recours», (p. 200)

Pour expliquer pourquoi l'orientation sociale promue par les évêques et massivement soutenue par le peuple n'a pas abouti à des réformes, l'auteur ne mâche pas ses mots: il accuse Duplessis et son groupe partisan en place de «s'être livré à des évictions de personnes et d'idées que personne n'attendait» (p. 202) et d'avoir mis en échec la législation sociale et les attitudes politiques qui étaient recommandées dans la lettre collective de 1950. Il évoque ensuite la «résistance des patrons» effarouchés par la hardiesse des vues de la Commision, en particulier sur la question de la participation des ouvriers à la gestion et aux profits de l'entreprise. Ce qui faisait dire à plusieurs, rapporte Mgr Roy: «les prêtres vont mettre la révolution dans le monde du travail» (L'Action, 22 juillet 1972).

C'est ainsi que la Commission joua un rôle de plus en plus effacé. Dans les deux grèves de 1952 (Dupuis Frères à Montréal et les tisserands à Louiseville) elle ne posa aucun geste décisif, pas plus qu'en 1957 avec la grève de Murdochville. Le Père Cousineau publia à cette occasion un article courageux dans Relations qu'il commente ainsi:

C'était là une protestation isolée, qui me valut réprimande épiscopale de la part de Mgr Paul Bernier, mais le geste n'était pas posé par un groupe de prêtres, comme la C.S.E.S., et ne recevait aucun appui des autorités ecclésiastiques, (p. 207)

Avant l'abolition de la Commission en 1965 par une décision de l'Assemblée des Évêques du Québec, Mgr Jean-Charles Leclaire, qui en était le président, avait essayé de faire accepter par les évêques l'idée d'y introduire des dirigeants laïques du milieu social afin de la rendre plus représentative. Cousineau commente: «L'idée ne plut pas en haut lieu et l'affaire n'eut pas de suite, malheureusement pour l'Eglise d'ici.» (p. 208)

J'ai fort apprécié la qualité du témoignage exceptionnel de ce jésuite engagé dans l'action sociale: cet éclairage de l'intérieur nous permet de constater à quel point les contradictions de la société ont traversé l'Église québécoise. Il est assez paradoxal que ce défenseur acharné du syndicalisme catholique et qui fut un ardent militant anticommuniste, ait été écarté par des forces politiques et religieuses qui le trouvaient encore trop menaçant pour l'ordre établi.




Notes:
1 II nous annonce un deuxième tome sur la question de la silicose et de l'amiantose en 1948-1949, les dénonciations de cette situation et l'impact sur le milieu syndical. Ce deuxième tome sera publié. Et dans un troisième tome qui restait à écrire, il projetait de décrire dans son ensemble l'influence de l'Église, de sa doctrine et des catholiques sociaux sur les destinées du Canada français.

2 Voir Lionel Groulx, Mes Mémoires, Fides, 1 (1970: 359-361 et 4 (1974: 256-276.

3 Voir Hélène David, «La grève et le bon Dieu: la grève de l'amiante au Québec», Sociologie et sociétés, 1, 2 (nov. 1969): 249-276.





Jacques Beaulieu
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