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Lettre du 11 septembre 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 11 septembre 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 11 septembre 1901
À Mademoiselle Attala Mallette Sainte Martine. Mon Attala Chérie,

Est-il bien vrai que dans une semaine à partir d’aujourd’hui j’aurai l’immense bonheur de vous voir, de vous parler, de vous répéter de vive voix mon amour excessif, ma tendresse toujours croissante, mes espérances d’avenir? J’ai peur que cette joie ne soit trop grande pour m’être accordée; je crains qu’il ne surgisse quelque chose qui m’empêche de vous rencontrer; il me semble qu’à peine serez-vous débarquée, tous les éléments vont se liguer; tous les hommes vont conspirer pour mettre des obstacles entre vous & mon coeur impatient de voler vers vous, de se reposer sur votre coeur; il me semble que toutes les lignes téléphoniques vont se briser, qu’enfin, je ne pourrai pas rejoindre mon cher ange, la bien-aimée de mon âme, mon Attala adorée. Vous m’aimez, n’est-ce pas, ma mignonne et vous voulez bien me faire plaisir, je vais vous dire ce qu’il faut que vous fassiez: Il faut, ma chère petite amie que lundi prochain le 16 septembre, je reçoive de vous, je ne dirai pas une lettre, j’aurais peur d’être trop exigeant, mais un petit mot me disant définitivement si vous arrivez mardi après-midi ou mercredi matin, me disant surtout où vous allez vous retirer, le nom, le numéro & la rue des gens chez qui vous pourrez vous rendre en débarquant des chars. Et si vous ne savez le numéro, dites-moi le nom des personnes & de la rue; je trouverai moi-même le numéro; et si vous ne savez pas exactement chez qui vous devez vous retirer, donnez-moi le nom & l’adresse de tous ceux chez qui vous pourrez vous retirer: j’irai moi-même de porte en porte, cherchant ma chérie, ne comptant pour rien mes pas & mes fatigues, & amplement récompensé par un de vos doux sourires, un de vos regards chargés d’amour.

Vous le voyez, je suis aussi anxieux & déraisonnable qu’un bébé auquel on a promis un joli cadeau pour Noël : c’est que je crains que vous ne puissiez m’atteindre par téléphone, soit par négligence des garçons de bureau, soit par une obligation subite de sortir. Dans tous les cas, mercredi matin, je resterai au bureau de 10 ¼, heure à laquelle les cours finissent [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] jusqu’à midi moins le quart, heure à laquelle, je partirai pour diner. Il faudra que vous téléphoniez dans cet intervalle, si je ne vous vois pas à la gare & si vous ne voulez pas m’écrire comme je vous le demande.

Car vous n’ignorez pas que c’est à 3 ½ heures, mercredi après-midi que le duc arrive, et il faudra nous rendre à un endroit d’où nous pourrons voir passer le cortège royal. Je suis heureux de pouvoir vous dire que j’ai trouvé une maison privée, sur la rue Sherbrooke, où l’on a bien voulu me promettre une place pour «vous seule» & pour moi.

Enfin, ma chérie, ne négligez rien pour que je puisse vous voir & souvent & longtemps; si vous partiez sans que j’aie le bonheur de vous rencontrer, je vous avoue que je serais inconsolable. Tant que vous serez à Montréal, je ne m’appartiens pas, mon temps est à vous comme mon coeur & mes pensées le sont toujours. Et ne venez pas me dire charmante petite héroïne; aimable rigoriste «je ne veux pas que vous perdiez un seul instant pour moi; le devoir avant tout»; moi j’en veux perdre du temps, et je prends actuellement de l’avance dans mes études, justement pour avoir cet ineffable ivresse de perdre mon temps avec vous & pour vous.D’ailleurs que votre conscience timorée se tranquilise; nous avons congé mercredi après-midi & toute la journée jeudi. Ainsi vous n’avez aucun prétexte pour vous débarasser de moi, si seulement je puis vous rejoindre.

Maintenant revenons si vous le voulez bien, au chapitre de notre amour qui pour moi est toujours de beaucoup le plus intéressant.

Vous avez pleuré à cause de moi, dimanche ô mon ange bien-aimé; eh! bien ces larmes me font plaisir; oui, oui, dussé-je paraître bien méchant, je suis content que vous avez pleuré d’ennui; car je sais d’abord que vous ne pleurerez pas bien souvent, et de plus, je suis heureux d’apprendre que je n’étais pas le seul à verser des larmes, en cette journée du dimanche; moi aussi j’ai pleuré à cause de vous; et j’ai senti mon coeur se serrer douloureusement à la pensée de notre séparation.

À peine revenu de la messe, je me mis à l’étude avec ardeur, pour refouler mes larmes; je travaillai ardument, fièvreusement, me débattant contre l’angoisse de l’ennui comme contre un affreux cauchemar.

Puis après dîner, en guise de repos, j’allai prendre une marche dont vous fûtes la cause et le motif dirigeant, puisque je vous cherchais une place pour la fête de mercredi. À mon retour dans ma chambre j’étais si seul, si dépaysé que je dus encore me plonger dans l’étude pour me consoler.

Mais le soir vint, & avec l’approche de la nuit, je compris plus vivement mon isolement : il me semblait que j’étais seul, seul dans ce vaste monde, perdu au milieu de cette foule affairée ou joyeuse, sans un coeur pour m’aimer, sans une amie pour [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] m’encourager dans cette terrible lutte pour la vie. Je sortis: soudain de tous les clochers voisins, s’échappèrent des onneries joyeuses: c’était l’angelus. Je sentis comme une lame d’acier, froide, effilée, me transpercer le coeur. Sept heures, c’était l’instant où huit jours avant je franchissait le seuil de votre maison; de cette maison où j’étais sûr de trouver un coeur affectueux, des yeux caressants, des paroles d’amour, sept heures, avec quelle impatience je guettais le premier son de la cloche le dimanche précédent, et maintenant cette cloche avait dans la voix les sanglots d’un glas funèbre. O! mon Attala, ma vie, mon seul bien! Que faisiez-vous alors? Pensiez-vous à votre Émery, pensiez-vous que dans cette grande ville, un coeur ne battait que pour vous; pensiez-vous que celui qui vous appartient sans réserve et pour la vie, errait, accablé sous le poids de la douleur causée par votre éloignement. J’avoue que ma vie me parut alors trop pénible, trop lourde! Pourquoi étais-je condamné à toujours travailler, tandis que tant d’autres s’amusaient; pourquoi être éloigné pour si longtemps de celle qui fait toute ma joie, de la source de mon bonheur, tandis que tant d’autres n’avaient qu’à se déranger pour cueillir des sourires, des serments, des baisers. O! ma chérie, soyez sincère et dites-moi lequel de nous deux a le plus souffert. Et c’est vous, ma bien-aimée, qui venez ajouter à ma douleur en me disant que je vous aimais moins à mon dernier voyage qu’auparavant; c’est vous, mon cher ange, vous dont l’amour fait tout mon bonheur, vous, Attala, bien aimée; vous que j’aime plus que je ne puis exprimer, qui me faites ce reproche. Voyons, voyons, sur quoi vous basez-vous pour me faire cette peine? Lorsque je considère chacune de mes actions, durant toute cette vacance, je puis en mon âme & conscience me rendre le témoignage, non-seulement que j’ai évité tout ce qui pourrait vous déplaire, mais encore que j’ai cherché toutes les occasions de vous faire plaisir. Vous aimant à la folie, j’ai voulu me gagner votre coeur pour toujours, et dans ce but, je n’ai rien négligé. Et lorsqu’enfin, à mon départ - (mes larmes obscurcissent ma vue à cette pensée) - quand il fallu vous dire un dernier adieu & que je vous demandai «Ma chérie, avez-vous quelque chose à me reprocher», ne m’avez-vous pas répondu: «Non, je n’ai rien à vous reprocher.» Ah! si alors vous m’aviez exprimé vos craintes, sur la diminution de mon amour, je ne serais pas parti, sans avoir entendu de votre bouche, l’assurance que vous compreniez votre erreur : Mon Attala! ma bien-aimée, mon seul bien, ma vie, mon tout, je vous le jure le plus solennellement qu’il est possible de le faire, je vous aime à la folie, d’un amour qui grandit tous les jours à mesure que je vous connais mieux; Attala, je vous appartiens, et je considère que vous aussi vous m’appartenez; Attala, toute ma vie vous est consacrée; Attala, Attala, gravez bien ceci au fond de votre coeur, si vous voulez bien m’aimer, nulle autre que vous ne recevra de moi le titre «d’épouse chérie». Attala, c’est vous que je choisis dès maintenant pour ma compagne, d’une manière défi[Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm]nitive & irrévocable; n’allez donc pas m’abandonner n’allez donc pas douter de moi.

On vous a conté une histoire d’un jeune homme abandonnant sa fiancée, après une année de fiancailles & vous avez craint pour votre Émery; l’on m’a raconté cent histoires de jeunes filles abandonnant leur fiancé pour un plus riche ou plus «prêt»; et cependant j’ai foi en vous; j’ai confiance en votre fidélité, non pas en me basant sur l’ardeur de votre amour, que sur l’énergie de votre volonté! L’amour le plus intense peut s’éteindre, s’il n’est entretenu par une ferme résolution d’être fidèle.

Ce jeune homme a abandonné sa fiancée; mais croyez-vous qu’il avait prié comme j’ai prié avant de s’engager pour la vie; croyez-vous que chaque jour, il faisait monter vers le Ciel une ardente prière demander à Dieu, de l’unir à celle qu’il aimait; ce jeune homme a abandonné sa fiancée, non pas parce qu’il ne l’aimait pas, mais parce qu’il n’avait pas d’énergie, parce qu’il était, comme vous l’avez si bien dit «lâche»!

O! Attala! je ne suis pas un lâche, je ne suis pas un coeur sans vigueur, une volonté chancelante, je sais ce que je veux; et je ne néglige rien pour l’obtenir. Or c’est vous, et nulle autre que vous que je veux pour épouse, et si je n’obtiens pas ce trésor suprême, c’est qu’une autre volonté que la mienne, - la vôtre, ma bien-aimée, viendra mettre sur ma route, un obstacle infranchissable; je ne veux pas empoisonner ma vie pour le remords d’avoir trompé une jeune fille confiante et fidèle.

Mon Attala! vous ne doutez plus, maintenant, n’est-ce pas? Il faut me promettre que vous ne douterez plus jamais, jamais. Rien ne m’est plus pénible que de semblables soupçons. Venez, venez mercredi; et nous verrons bien si mon amour a diminué.

Maintenant, si vous m’aimez «comme je vous aime», une lettre pour lundi; venez, venez, que j’ai hate de vous voir. Quelle fête, quelle joie, quelle ivresse pour mon âme.

Au revoir, chérie de mon coeur, à mardi ou mercredi; écrivez-moi; pensez à moi; aimez-moi, je vous en supplie, et priez bien pour

Votre Émery à vous seule, bien-aimée.








Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
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