Lettre du 17 mars 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 17 mars 1901
Folio unique de 4 pages lignées 20 x 26 cm
Montréal, 17 mars, 1901
À Mademoiselle Attala Mallette, Ma chère Amie, Si je n'ai pas passé une sainte journée; j'avoue que je ne sais pas la signification de ce mot. Cette après-midi, j'ai terminé mes visites jubilaires; et maintenant, à onze heures du soir, je viens de prier le bon Dieu pour l'âme de ma chère tante, morte ce matin. Mais ne voulait-on pas me garder toute la nuit? Oh! que non! j'avais une lettre à écrire à ma petite capricieuse qui vient de décréter, dans sa toute-puissance, que désormais je ne devais pas rester une semaine sans écrire! Ah! des caprices comme celui-là, je vous en pardonnerai cent par jour, avec plaisir; car de mon côté, je trouvais cela bien long d'attendre une réponse de vous, pendant toute une semaine. Aussi, ma joie et ma surprise furent extrêmes, lorsque, vendredi matin, je reçus votre lettre. J'étais juste prêt à quitter le bureau pour aller à mon lunch. Je mets ma lettre dans ma poche, et je pars, mais il faut bien cinq minutes pour me rendre à ma pension, et cinq minutes, quand on a là, sur son coeur, une lettre de sa bien-aimée, c'est très long, c'est trop long. Il me fallut l'ouvrir sur la route; et ce fut alors, que vous avez failli causer ma mort. Vous comprenez que pendant que je lisais ces pages si pleines d'amour, le monde extérieur avait cessé d'exister pour moi. Alors, tout d'un coup, s'élançant du toit d'une maison à cinq étages; un énorme glaçon vint s'abattre à mes pieds. Je relevai la tête, pour voir si quelque semblable ennemi se préparait encore à faire le saut périlleux, et je continuai ma lecture: mon bon ange m'avait sauvé. Vous tenez absolument à avoir une bague, charmant petit tyran! Mon Dieu, que j'aimerais pouvoir lire dans votre coeur, et y découvrir la grande raison de ce brûlant désir. Est-ce le plaisir de porter un joyau, la satisfaction d'une petite vanité; ou bien, est-ce le bonheur de posséder un gage irrécusable de ma tendresse? Il faut pourtant que je mette un frein à vos exigences. Il y a quelques jours, j'assistais à une leçon donnée par un veuf, nouvellement remarié, sur l'art d'être heureux en ménage; et il disait qu'une des conditions essentielles du bonheur conjugal, était de ne pas se plier aux caprices de sa jeune femme, sous prétexte qu'on est nouvellement marié; parce que, disait-il, tôt ou tard, on vient à se fatiguer du joug, et lorsqu'on veut faire une déclaration d'indépendance, madame ne voit plus en nous qu'un rebelle, et Madame boude & prétend que son mari n'a pas bon coeur. J'avoue que j'approuvai fort ce qu'il disait. Par conséquent, en vertu de cette doctrine, et considérant les complications futures que pourrait faire naître mon extrême condescendance, j'ai décidé, oui j'ai parfaitement décidé & statué que si vous voulez avoir une bague, eh! bien il faudra bien... vous en donner une. Seulement, vous comprenez qu'il faut que vous soyez sur les lieux, pour un achat aussi important. Je ne sais ni quelle pierre vous aimez, ni quelle forme vous préférez; ni quelle grandeur il vous faudra. Nous règlerons donc cette grave question, à votre prochain voyage à la ville. Mon Dieu! que j'ai mal au dent! Il faut portant que je malle cette lettre demain: sans quoi je vais me faire gronder. «Connaissez-vous un M. Marcil, médecin vétérinaire du village de Ste Martine, qui courtise une demoiselle Mallette, dont le père s'appelle M. Napoléon» c'est ce qui m'a été demandé, ce soir-même, par un M. Marcil, cousin de votre ami, qui est maintenant employé à Montréal, & si vous voulez savoir qui a si bien renseigné M. Marcil, cousin de votre ami; je puis vous dire que c'est un M. Trudeau. Il parait qu'il y a aussi un M. Beaulieu qui est allé quelquefois faire visite à Mademoiselle Mallette, mais... C'est étrange comme je ne puis faire un pas sans m'entendre répéter, à la ville comme à la campagne, que M. Marcil est votre ami. Quelles ont donc été vos relations avec ce monsieur, pour qu'elles soient connues si bien et si loin? Je me rappelle qu'à votre avant-dernière lettre, vous m'annonciez que tout venait d'être fini entre M. Marcil et vous. Tout venait d'être fini; et cependant, je vous écrivais depuis sept à huit mois, alors; et depuis plusieurs mois, vous me répétiez que vous n'aimiez que moi, Que disiez-vous, pendant ce même temps à M. Marcil, pour qu'il continuât à vous visiter? Je ne vous demanderai pas de me rendre compte de votre conduite; je n'en ai aucun droit; mais je puis bien supposer que vous n'alliez pas lui dire que votre coeur était fixé et que vous n'aimiez que moi. Pourtant je ne puis pas croire que vous me trompez; je ne veux pas croire que mon Attala à qui je consacre toutes mes pensées, pour qui j'ai rompu avec toutes celles qu'on appelait mes amies; que mon Attala bien-aimée que j'aime de tout mon coeur, n'est qu'une intriguante, une infidèle. Mais qui m'expliquera ce mystère? Mais jetons un voile sur toutes ces sombres pensées. Vous m'aimez bien & moi je vous aime de toute mon âme; vous me demandez si je crois que nos deux caractères s'harmoniseraient ensemble; que nous serions heureux trous les deux? Que n'êtes-vous là devant moi; avec vos beaux yeux fixés amoureusement sur moi, que n'êtes-vous tout prêt [sic], tout prêt [sic] de moi, ô mon beau chérubin blond! pour que je puisse vous murmurer doucement à l'oreille: «Oui, je crois que nous serions heureux ensemble; oui, en autant que je vous connais, je crois que nos caractères s'harmoniseraient; mais je vous connais bien peu.» À vous, mon Attala adorée, de vous montrer à moi telle que vous êtes, sans dissimulation dont nous pourrions souffrir plus tard, tous les deux; à nous deux de prier pour que Dieu nous éclaire. Tenez, je vous avoue franchement, je crains que vous ne soyiez froide; or moi, il me faudra beaucoup d'affection, il me faudra beaucoup de caresses; car ce n'est ni au club, ni au bal, que je chercherai le repos d'une journée de labeur; mais au foyer, mais auprès de celle qui sera ma compagne. N'êtes-vous pas coquette? Mais je m'aperçois que je vous fais subir un examen; ce n'est pas galant. Bonsoir, ma bien-aimée; écrivez-moi jeudi, si vous ne voulez pas que je tarde une semaine pour vous écrire. Je suis assez bien, maintenant; priez pour moi, afin que je réussisse dans mes examens, dans ma carrière; aimez bien la Ste Vierge & priez-la surtout, car moi, je l'aime & la prie bien; toutes ces prières que vous adressez pour moi, au Ciel, je vous les rendrai, en amour, en attentions, en petits soins, en caresses. Attala, soyez bien sûre que je vous aime, que je n'aime que vous; soyez sûre que nul n'a mes pensées, mes regards, mes attentions, si ce n'est vous, ma chérie, je vous abandonne entièrement mon coeur; il est à vous; donnez-moi le vôtre, & soyons heureux, confiants, affectueux.
Émery |