Lettre du 27 avril 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 27 avril 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: Premier folio de 4 pages lignées 20 x 26 cm
Montréal, le 27 avril, 1901
À Mademoiselle Attala Mallette,Mon Ange Adorée, Je reçois votre lettre ce matin et je veux tout de suite vous remercier, non pas d'avoir tant tardé, mais d'avoir bien voulu être assurée du secours du ciel avant de me répondre, d'avoir dédaigné pour moi, pour mon amour, les offres qui vous ont été faites, la perspective brillante qu'on a agitée devant vos yeux pour gagner votre coeur & vous séparer de moi à jamais. Et voilà que maintenant, je suis à me demander lequel des deux sentiments l'emporte dans mon âme, de la tendresse ou de la reconnaissance. Ce que vous avez fait pour moi, Attala, je vous le rendrai. C'était le bonheur qu'on vous offrait, je vous donnerai l'ivresse; l'on vous aimait sans doute, je vous adorerai; on était prêt à vous prodiguer les petits soins, les attentions délicates, je vous en accablerai; et lorsque plus tard, les orages de la vie viendront nous assaillir, remontant le flot de mes souvenirs, je trouverai tant de consolation dans la pensée de ce sacrifice que vous, ma bien-aimée, vous avez fait pour moi, que rien ne me paraîtra plus pénible, dur, impossible, quand il s'agira de vous prouver que je me souviens. Que vous donnerai-je dès maintenant, en retour de votre fidélité? Hélas! je vous ai déjà tout donné; mon coeur, il est à vous depuis longtemps et il vous appartiendra toujours, toujours; mes pensées n'ont plus que vous pour objet; c'est vous seule que je veux pour toujours, c'est pour vous seule que je bâtis de beaux châteaux en Espagne, dans lesquels vous êtes toujours la reine bien-aimée, la charmante petite fée; & mon travail et mes études et mes fatigues ne sont plus qu'un moyen d'arriver à vous, de fixer à jamais votre coeur, de remplir avantageusement la tâche que je me suis imposée: vous rendre heureuse, en dépit de tout. Vous me confiez votre bonheur; et ce dépôt me rend fier; me grandit dans la propre estime, m'ouvre des horizons nouveaux, inexplorés, aiguillonne mon courage et me rend tout possible. J'en prends charge, ô ma chérie, de votre bonheur; et soyez sûre, que vous ne pouviez le confier à des mains plus dévouées, plus affectueuses, plus décidées à en avoir tout le soin possible. Confiant en Dieu qui ne peut rien refuser à la prière fervente, assuré de notre bonne Mère du Ciel comme protectrice, je vous promets un avenir heureux. Sans doute, nous aurons, nous aussi, nos épreuves; Dieu ne nous aimerait pas s'il en était autrement; mais appuyés l'un sur l'autre, trouvant l'un dans l'autre l'amour, la confiance, le dévouement, les yeux levés vers la céleste Patrie, nous avancerons dans la vie, jouissant de la paix des enfants de Dieu. O, Attala chérie! croyez qu'il n'y aura rien d'impossible à mon amour, aidé du travail et de la prière. Avant de commencer l'entreprise qui réussit si bien, j'avais mis cette affaire sous la protection de Marie; et voyez comme mes espérances sont dépassées par les évènements: tellement que ma reconnaissance envers ma divine Protectrice s'agrandit tous les jours. Cette semaine, je me fais un salaire de $19.00; sans doute, c'est une semaine extraordinaire, qui ne se renouvellera pas de sitôt; mais c'est une preuve que Dieu encourage mes débuts. Et pourtant cette semaine qui vient de se terminer, a été pour moi, une semaine de souffrances atroces, je n'ai pas eu un seul instant de bonheur; et si, le jour, je me composais une figure aussi impassible que je le pouvais, le soir, au milieu de mes études, je ne rougissais pas de me jeter à genoux, devant une image de la Sainte Vierge, et de pleurer abondamment, en songeant que vous m'aviez oublié, que je devais entreprendre l'effroyable tâche de chasser votre souvenir, d'arracher de mon coeur tout germe de cet amour qui me tuait après m'avoir donné la vie et le bonheur. Ce que j'ai souffert Dieu le sait; et cette lettre que j'ai reçue ce matin me constitue débiteur de tous les saints du Paradis. Mais jamais homme ne fut plus heureux de se trouver en dette. O, ma bien-aimée, que je suis heureux de voir que vous ne m'avez pas abandonné, qu'il me sera encore permis de vous aimer, de reposer ma pensée fatiguée, par le souvenir de vos amabilités; que vos beaux yeux se fixeront encore amoureusement sur celui qui vous aime tant; que vous me sourirez encore avec tendresse et que de douces paroles sortiront encore de votre bouche, à mon adresse. C'est le Ciel qui m'est rendu, après une semaine d'enfer; c'est la vie rendue à un condamné, & dans mon enivrement, j'oublie toutes mes colères, tous mes désespoirs, toutes mes transes. Vous ne savez pas combien je vous aime; vous ne comprenez pas combien mon bonheur dépend complètement de vous; mais vous le saurez un jour; j'inventerai de nouveaux mots pour vous le dire, de nouvelles caresses pour vous le prouver; & alors, si vraiment vous m'aimez, vous ne regretterez rien de ce que vous avez fait pour moi. [Deuxième folio de 4 pages lignées 20 x 26 cm]O, chérie, que je vous aime! que je suis heureux d'être aimé de vous, et de penser que vous m'aimerez toujours. Vous m'appartenez maintenant, vous l'avez dit; ne l'oubliez pas; il n'y a plus rien entre nos deux coeurs qui brûlent de s'unir; celle que j'aime avec ivresse est à moi, à moi pour toujours. Pour moi, elle a fait une action de courage, en dédaignant des offres attirantes. Savez-vous bien que c'est tout simplement admirable ce que vous avez fait, jeudi après-midi; savez-vous bien que pas une jeune fille sur cent, n'aurait subi victorieusement cette épreuve.O! ma mignonne vous repoussez une position toute faite, pour une qui est encore à faire, vous repousez le coeur d'un jeune homme tout prêt à s'établir, pour vous presser auprès de celui qui ne pourra vous faire les mêmes propositions que dans quelques années. Comment voulez-vous que je m'empêche de vous aimer à la folie; comment voulez-vous que je puisse chercher ailleurs qu'en vous, un coeur plus noble, plus généreux, plus affectueux. Je vous appartiens tout entier, je vous appartiens pour la vie. O! ma bien-aimée! qu'il est bon le sort que vous me faites entrevoir: vous aimer de toute mon âme; être aimé de vous; et cela toujours, toujours; pouvoir à toutes heures du jour, penser que je possède un précieux trésor comme vous, sentir le soir, se poser sur mon front alourdi, de chauds baisers d'ivresse; oh! c'est trop de bonheur! c'est trop, j'ai peur! Mais je suis fou de craindre, Dieu n'est-il pas avec nous, notre amour n'est-il pas sous la protection de la Ste Vierge, et ce qu'elle garde, elle le garde bien? Enfin, vous, n'êtes-vous pas complètement différente des autres jeunes filles qui sont légères, frivoles, inconstantes pour la plupart. Tandis que vous!.... O! mon Attala! Dieu vous récompensera pour la joie immense qui déborde de mon coeur depuis samedi matin, et moi aussi, je vous récompenserai. Je vous jure que jamais une larme de douleur ne sera versée par vous, à cause de moi; plus de visites aux jeunes filles; mon temps est trop précieux, puisque chaque instant perdu, diminuera peut-être un peu la somme de bonheur que je veux vous préparer; je n'ai plus la moindre parcelle d'amour à gaspiller, tout est absorbé dans l'immense amour que je vous porte, et mes pensées n'ont pas trop de temps pour repasser vos qualités, vos bonnes paroles, vos beaux regards. Mais tout cela n'est pas assez; je brûle du désir de faire pour vous quelque grand sacrifice qui vous convaincra de ma tendresse; et tout cela ne me punit pas; oh! Attala mon ange, demandez-moi donc quelque chose de bien difficile pour que j'aie le bonheur de vous entendre me remercier avec reconnaissance. Je suis en dette envers vous, et j'en suis affligé; mon affection est désireuse de se montrer au grand jour par quelques coups d'éclat; et les occasions manquent. Je vous aime, ma bien-aimée Attala; je vous chéris de toutes mes forces! comme nous serons heureux ensemble! Que d'amour, de caresses je vous prodiguerai, quand nous serons l'un à l'autre pour toujours; oh! vous le seul bonheur de ma vie, la seule joie de mon âme; la seule récompense que j'envie, pour toute une vie de travail, de labeur. Attala, je vous envelopperai de mon amour, comme d'un épais nuage à travers lequel, toutes choses vous paraîtront brillantes, roses, séduisantes. Je viens de recevoir votre lettre datée d'hier. Voulez-vous donc que je devienne fou d'amour? voulez-vous donc que je n'aie même plus le temps d'étudier, tant votre souvenir m'absorbera? Comme vous avez bien fait de m'écrire pour vous désennuyer! Vous voulez savoir ce que j'ai fait dimanche? Mais, comme toujours, j'ai pensé à vous; et réconforté de ce doux souvenir, par votre admirable lettre de samedi, j'ai étudié bien fort, toute la journée, toute la veillée; ne me couchant qu'à deux heures du matin. Il y avait soirée à la maison de pension; sur leurs instances réitérées, j'ai fait une courte apparition au salon, mais je n'y suis descendu quà 10 1/2 et j'ai remonté assez tôt pour étudier encore, avant de me coucher. J'ai recontré au salon une Demoiselle Mallette à qui j'ai demandé si elle n'avait pas de parents à Ste Martine. «Non!» m'a-t-elle répondu; alors tant pis, elle ne m'intéresse plus. Il n'y a qu'une seule jeune fille qui m'intéresse et c'est vous; vous que j'aime, que j'aimerai toute ma vie. Ne me dites plus que je vous trouve indigne de mon amour? N'avez-vous pas honte de tenir ce langage; c'est moi qui dois m'efforcer de monter jusqu'à vous; moi qui dois mériter votre tendresse; moi qui la mériterai à tout prix. Ma chère Attala, ma dernière lettre vous a fait de la peine, dites-vous? Oh! pardonnez-moi; si j'ai parlé un peu brièvement, ne m'en voulez pas! Si vous saviez ce que mon coeur souffrait en traçant ses lignes si froides; si vous saviez ce que j'avais pleuré d'amères larmes; à cause de votre retard inexplicable. Je me demandais si vous ne regrettiez pas par hasard, de vous être engagée autant? je me figurais que vous aviez songé combien il vous serait plus avantageux de donner votre coeur à M. Dubuc. Pardonnez-moi ces pensées indignes de vous; je ne vous connaissais pas encore, et je me mourais de douleur. Mon bel ange, c'est oublié n'est-ce pas? Il n'y a plus rien pour nous empêcher de nous aimer. Nous sommes l'un à l'autre pour la vie; nous supporterons bravement l'ennui, en pensant au suprême dédommagement. À vous pour toujour mon coeur, mon amour, mes caresses, mes pensées, mes regards, ma vie, tout moi-même; pour toujours, soyez-en bien convaincue. Si vous ne venez pas à Montréal d'ici là, j'irai à Ste Martine, dans quinze jours, c'est-à-dire de suite après [folio de 2 pages lignées 20 x 26 cm] mes examens. Préférez-vous que je descende directement à Ste Martine, samedi soir, pour aller à Beauharnois dimanche ou lundi, ou si vous aimez mieux que je me rende directement à Beauharnois, pour aller à Ste Martine, dans le cours du dimanche. Décidez; votre jugement sera sans appel; mais tâchez d'arranger cela pour que je vous vois le plus longtemps possible. O! ma chérie, que je brûle du désir de vous voir; si l'on n'était pas en examen, ce n'est pas dans quinze jours que j'irais à Ste Martine; ce serait ce soir, tout de suite. Du moins, nous profiterons de ma première visite, pour nous répéter mille fois que notre amour sera éternel; et pour nous en donner l'un à l'autre, l'assurance, la certitude. Vous me recevrez à coeur ouvert, n'est-ce pas, ma chère Attala; vous ne m'épargnerez pas les preuves de votre amour; de mon côté, vous verrez que je vous aime, vous verrez si vous avez raison de vous fier à moi, de tout sacrifier pour moi. Au Revoir, ma bien-aimée, dans quinze jours. Priez bien, que je passe un bon examen et que le concours que je suis à préparer, soit couronné de succès; priez bien pour que la bonne Vierge bénisse nos amours et nous conserve toujours l'un à l'autre; je lui demande cette grâce tous les jours. Pensez bien à moi, aimez-moi de toute votre âme; vous ne m'aimerez jamais autant que je vous aime. Attala, ma chérie; je vous défends de douter de moi, tout soupçon sera dorénavant une insulte; et je vous promets de ne plus douter de vous. Nous devons avoir pleine confiance l'un dans l'autre, nous devons nous estimer assez réciproquement pour ne pas nous croire capables de perfidie, de basse trahison. Je vous donne ma parole d'honneur; comme vous m'avez donné la votre, de vous aimer toute ma vie, de fuir tout autre amour; de garder pour vous seule toute l'affection, toutes les caresses de mon coeur. Au revoir, ma Bien-Aimée Attala, je vous chéris, aimez-moi.
Votre Émery pour la vie.
|