Lettre du 21 novembre 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 21 novembre 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 21 novembre 1901
À Mademoiselle Attala MalletteMa chère Attala, Bien sûr que vous dormez depuis longtemps, mon cher beau petit ange; depuis longtemps vos yeux se sont fermés, votre coeur ne bat plus d’amour pour moi, votre esprit n’a plus de pensée pour votre Émery: il est bientôt une heure après minuit. Et moi je veux terminer ma journée de labeur par quelques instants de jouissance; je veux redire tout bas, de crainte de vous éveiller, charmante endormie, que je vous aime avec ivresse, avec idolâtrie. Ma Bien-AImée, je suis bien content de vous, votre lettre était si affectueuse, si gentille, elle était si bien la continuation, la suite de notre dernière entrevue, que j’éprouve une joie toujours nouvelle à la relire. Si vous vouliez, ô mon Attala chérie, comme votre amour me rendrait heureux! «Vous vous êtes fait un programme pour passer les carnavals, de manière à ne mériter aucun reproche de ma part», me dites-vous; grand merci de votre bonne intention. Vous avouerai-je que je n’ai pas grande confiance dans la durée de ces bonnes résolutions? Combien de fois ne m’avez-vous pas dit: «Je ne vous ferai plus jamais de la peine.» et vous savez le reste. Vous verrez qu’à mon prochain voyage, la joie de vous revoir, sera encore empoisonnée par quelque nouvelle douleur. Mais à chaque jour suffit sa peine! Puissiez-vous du moins, o! mon seul bien, ne pas me causer la douleur suprême – qui ne guérirait pas celle-là – de m’ôter votre amour, votre coeur, pour les porter à un autre, au mépris de tous vos serments. O! Attala, Attala, aimez-moi encore davantage, aimez-moi de plus en plus; voyez-vous, ma mignonne, votre amour est la vie de mon coeur, votre amour est l’espoir de mon existence; il me semble qu’avec votre amour, je puis tout entreprendre & tout obtenir; et lorsque je songe qu’un jour luira pour moi, où votre amour me sera acquis comme un bien indiscutable; je sens mon âme se remplir d’une ardeur inextinguible. Mais si vous alliez m’abandonner, si un jour, une rupture devait mettre fin à nos relations!... Je me tais, mais mes yeux se voilent de larmes à cette pensée. Vous craignez, dites-vous que quelqu’obstacle ne surgisse sur la route du couronnement de nos amours; et moi aussi je crains, je crains le retour de quelque 3 novembre, qui ne sera pas suivi de réconciliation, je crains que vous ne me mettiez dans la dure nécessité de montrer que j’ai appris à être indépendant, grâce à votre exemple, grâce à vos leçons. Attala, m’aimez-vous, m’aimez-vous? De grâce, évitez une rupture; je ne sais si je deviens nerveux, vu l’heure avancée, mais savez-vous bien que je souffre d’angoisses [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] & d’inquiétudes. O! Attala, que n’êtes-vous prêt [sic] de moi, pour me consoler, pour m’assurer que vous m’aimerez toujours que vous désirez aussi ardemment que je le désire l’union de nos deux coeurs, que vous éviterez aussi soigneusement que moi, tout ce qui pourrait rendre impossible ce voeu suprême de nos âmes. Je vous aime, je vous chéris, je vous adore, je vous désire ardemment! Entendez-vous, comprenez-vous. Ma bien-aimée, je mets ma confiance en la Vierge Marie que je supplie chaque jour de me conserver le coeur de mon Attala bien pur, bien fidèle, bien affectueux; je vous mets, je me place moi-même sous sa bienfaisante protection; et j’espère qu’elle entendra mes ardentes prières, qu’elle unira ses enfants, pour que tous deux nous puissions ensemble aller la remercier d’avoir travaillé à notre bonheur avec un soin & une tendresse vraiment maternelle.
Mon Dieu! il faut que je songe à dormir un peu. C’est si bon m’entretenir
avec vous! Que les anges veillent sur votre sommeil, o! vous mon seul bien;
qu’ils éloignent les cauchemars de votre blanche [sic] oreiller! Bonsoir, ma
mignonne! ne vous éveillez pas... doucement, affectueusement, délicieusement,
sur votre bouche demi-close, demi-souriante je dépose... un léger baiser. Ange aux yeux bleus, endormez-vous.» Je reviens, avec bonheur terminer ma lettre que vous devez recevoir ce soir. Vous me demandez si je vous écrirais mardi ou jeudi; comment aurais-je pu vous écrire mardi, puisque je n’ai reçu votre lettre que mardi midi : Qu’avez-vous donc fait de votre veillée de dimanche soir que vous deviez passer à m’écrire. Où étiez-vous, méchante enfant Avec qui étiez-vous? Pas à votre chambre dans tous les cas, occupée à m’écrire, comme vous en aviez eu d’abord l’intention. Bon, je suis trop curieux, sans doute. Vous me demandez si je suis invité au banquet de M. Thibert? Oui; si j’irai? Il vous aurait suffi de me dire que vous y seriez, pour être assurée que je m’y serais rendu. Mais vous ne faites que constater que vous êtes invitée. Venez-vous, dites-moi, si je vous priais, si je vous suppliais bien fort, bien fort, viendriez-vous? Que je serais heureux de pouvoir vous y rencontrer. Tenez, je vous en prie, écrivez-moi donc deux mots demain ou samedi matin au plus tard, me disant si vous acceptez l’invitation, m’informant de l’heure où vous arriveriez : j’irais vous rencontrer à la gare, car nous n’avons pas de cours, samedi, vu que c’est la fête des étudiants en droit. Si je ne reçois pas de lettre d’ici à samedi midi, j’en concluerai que vous ne venez pas & alors, il est probable que M. Thibert ne me comptera pas au nombre de ses convives; attendu que c’est ce même jour du samedi que nous avons le banquet des étudiants en droit, à l’Hôtel Viger. Mais vous ne doutez pas que je laisserais banquet & tout le reste, si j’espérais pouvoir vous rencontrer chez M. Thibert. Écrivez-moi donc, o! mon Attala bien-aimée. Comme vous l’avez peut-être lu sur le journal, mardi, 19 novembre, j’ai donné une conférence au Cercle Ville-Marie. Et à ce propos, ma bien-aimée, j’ai à vous faire une petie confession. Je serais peut-être mieux de passer cela sous silence; c’est si peu important, et vous y prêterez probablement si peu d’attention. [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] Mais je veux être aussi sincère que vous & d’ailleurs de méchantes langues pourraient peut-être amplifier cet incident et vous faire de la peine, à vous ma chère petite Attala. Je préfère vous dire tout moi-même. Sur le premier rang de mes auditeurs, se trouvaient une jeune fille que je connais accompagnée de sa mère. Lorsque j’eus fini de parler, je crus de mon devoir d’aller m’entretenir avec ces dames, et à la fin, mademoiselle me demanda de les reconduire à leur domicile. Je ne pouvais pas refuser, et j’y allai : voilà. Comme vous le voyez, ce n’est pas très grave : mais je vous appartiens, et je me crois tenu de vous rendre compte de ma conduite. Si j’étais en faute, je vous demanderais bien volontiers pardon, mais je ne suis pas en faute et cependant cet évènement m’afflige. J’ai beau me dire que vous connaissez trop bien le coeur de votre Émery pour croire qu’une semblable rencontre puisse altérer mon amour pour vous & me faire oublier mes serments à votre égard, que ce n’est pas ma faute, que vous avez fait de même & pis encore; je ne puis vous cacher que j’éprouve un certain malaise: j’ai peur de vous avoir affligée, je souffre par crainte de vous avoir fait de la peine; et je ne serai parfaitement tranquille que lorsque j’aurai reçu de vous une belle longue lettre bien affectueuse m’assurant que vous n’avez aucune inquiétude au sujet de mon amour, que vous avez pleine & entière confiance en moi; comme par le passé; que vous m’aimez toujours autant. Chère petite bien-aimée, j’ai pensé à vous durant tout le trajet que j’ai fait avec ces dames, et retournant à ma chambre seul, je m’entretenais avec vous, vous consolant, vous expliquant, tout comme si vous étiez là, tout tout prêt [sic] de moi. Ma bien-aimée Attala, venez donc samedi et je vous promets que vous retournerez convaincue que vous êtes toujours la seule que j’aime, que vous êtes toujours la reine de mon coeur, mon bien suprême, mon unique trésor. Ne craignez rien, chérie, mon coeur tout moi-même vous appartient en pleine & entière propriété; vous êtes toujours ma petite reine, chérie; je suis toujours votre Émery bien fidèle, bien affectueux, brûlant de désir de vous posséder à jamais, pour compagne, pour épouse bien-aimée. Mais je m’évertue sans doute à consoler celle qui est sans affliction, à rassurer celle qui est sans inquiétude; et non content de souffrir des peines que vous me faites, il faut encore que je souffre des peines que je crains de vous avoir faites. Au revoir, ma bien-aimée; n’oubliez pas que je serais enchanté de vous voir chez M. Thibert, samedi, n’oubliez pas de m’avertir si vous venez; n’oubliez pas que je vous aime de tout mon coeur, de toute mon âme, de toutes mes forces; n’oubliez pas qu’il vous faut m’aimer de même, et que nous serons au comble du bonheur, lorsque, unis l’un à l’autre pour toujours, nous pourrons enfin nous voir à chaque instant du jour, nous aimer sans crainte, nous couvrir de brûlants baisers, d’ardentes caresses, toujours renouvelés & toujours nouveaux. En attendant ce jour béni; o! Attala de mon âme, aimez-moi bien, priez bien pour moi; & soyez assurée que je suis pour la vie;
Votre Émery à vous seule.
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