Mes racines / my roots

Henri Césaire Saint-Pierre


Adéline Albina Lesieur


Napoléon Mallette


Louis Émery Beaulieu


Guillaume Saint-Pierre


Joseph Bélanger


Geneviève Saint-Pierre


Jeanne Beaulieu Casgrain


Jean Casgrain


Simone Aubry Beaulieu


Marcel Malépart


Jaque Masson


Édouard Trudeau


Rolland Labrosse


Jacques Cousineau



Recherche
de
"Mes racines"

sur
JacquesBeaulieu.Ca


Retour
à la page
initiale

de
JacquesBeaulieu.Ca
Lettre du 1er décembre 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 1er décembre 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 1er décembre 1901
À Mademoiselle Attala Mallette,
Sainte Martine.

Ma toute Adorable,

«Rien ne ressemble moins à un dimanche que le dimanche qui suit»; c’est ce que je ne puis m’empêcher de penser en commençant à vous écrire ce soir. Aujourd’hui est aussi dimanche que dimanche passé, puisque je suis allé à la messe, pourtant dimanche passé, j’étais ivre de joie, de vous voir, de vous parler, d’écouter avec ravissement cette harmonie divine composée de vos paroles d’amour, unies à vos serments de fidélité inébranlable; et aujourd’hui, quel vide dans mon âme, quelle solitude! quel ennui! Mon Attala n’est plus là à mes côtés; ma joie s’est envolée, mon bonheur n’est plus qu’un rêve du passé, O! chérie, vous savez que je n’ai pas perdu un instant de ceux que vous m’avez accordés; et pourtant, aujourd’hui que je suis loin, je me demande si je n’aurais pas pu vous contempler davantage, vous dire plus ardemment ma joie de vous voir, vous peindre plus vivement, ma tendresse toujours croissante, mon affection sans bornes, mes doux projets d’avenir. Ma bien-aimée, je suis content de vous; permettez-moi de vous le répéter encore et encore; soyez toujours tout comme vous étiez dimanche passé et je serai heureux; suis-je trop exigeant?

Votre compte-rendu de la mémorable soirée de la Ste Catherine chez M. Touchette, à laquelle vous avez eu l’insigne honneur d’assister, m’a profondément ému, mais ne m’a pas surpris sous certains rapports. Que M. Blais ait voulu éblouir les gens par la vivacité de son esprit: rien d’étonnant; que mon cousin Trefflé ait noyé sa raison dans le fonds d’une bouteille; il n’y a pas lieu de crier au miracle; mais qu’Aimé se soit oublié, à un tel point, surtout chez sa future; ceci me surprendra un peu plus; ceci est vraiment très pénible. «Aime-t-il vraiment Melle Touchette?» me demandez-vous, et faisant vous-même la réponse, vous concluez que non!

J’admire la justesse de votre raisonnement, elle fait grand honneur à votre logique. Procédons philosophiquement. Vous posez donc comme principe qu’Aimé n’aime pas sincèrement Odoïska, puisqu’il lui fait une semblable peine; c’est-à-dire que quiconque cause de propos délibéré une peine à quelqu’un, ne peut prétendre aimer cette personne. À la bonne heure! c’est justement ce que je vous prêche depuis un an. Maintenant «retorqueo argumentum» comme on disait en philosophie, je vous rétorque l’argument et je dis: «Attala, le 3 novembre, de l’an [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] de grâce 1901, a, de propos délibéré, malicieusement, méchamment, sans cause ni excuse, mais uniquement poussée par son penchant pervers à tourmenter ceux qui l’aiment, - Attala, dis-je, a fait une grosse peine à Émery; donc la susdite Attala n’aime pas sincèrement le ci-devant Émery. Et voilà comme c’est beau la science, comme c’est aimable la logique. Pourtant en dépit de toute logique, je crois en votre amour; pourquoi Odoriska douterait-elle de l’amour d’Aimé. «Ce n’est pas pareil», dites-vous; c’est-à-dire que votre vilaine action ne vous a pas empêchée de vous tenir bien droite sur vos deux pieds; mais à part cela où est la différence. Pour moi, j’en suis presqu’arrivé à conclure que Ste Martine est un drôle de pays où il y a de drôles de gens qui ont de drôles de manières de prouver leur amour. Chez nous, quand on aime quelqu’un, à peine a-t-on les yeux ouverts que l’on pense à l’adorée; puis la deuxième pensée est pour savoir ce qu’il faut faire, durant la journée qui commence pour faire plaisir à la charmante dame de note coeur, ce qu’il faut éviter pour empêcher qu’elle pleure, pour lui ôter même le plus léger prétexte de pleurer. Et tantôt, on se couche à deux heures du matin pour lui épargner le désappointement de ne pas recevoir une lettre, à l’heure attendue, tantôt on perdra deux banquets dans une seule veillée pour répondre à un simple désir exprimé nonchalamment, sans espoir, tantôt on lui achètera une boîte à bijoux, quelques-uns iront jusqu’à lui acheter une montre, tantôt enfin on passera une longue semaine à lui chercher une épinglette, pour suspendre sa montre et tout cela joyeusement, allègrement, récompensé d’avance à la seule pensée de la joie qu’on va lui causer, du joli sourire dont elle va vous payer; des douces paroles qu’elle va nous répéter.

Mais à Ste Martine, c’est une toute autre affaire; on aime une jeune fille qui déteste les ivrognes; on s’enivre chez elle, en pleine compagnie; on dit aimer un jeune homme qui nous vient voir après deux mois d’absence, on lui soutient qu’on s’ennuie beaucoup & quand il vient, on le reçoit en partant avec un autre. Décidément les jeunes gen de Ste Martine sont de drôles de gens qui ont de drôles de manière... Mais où en suis-je donc. Depuis longtemps c’est pardonné; depuis longtemps c’est racheté; mais ce n’est pas encore... oublié; et Molière connaissait bien la nature humaine, quand il faisait dire à un de ses personnages : «Oui, oui, je te le pardonne, mais... tu me le paieras.» Oh! je ne veux pas dire que vous me le paierez; non, vous avez déjà tout payé; mais cette misérable soirée que je hais de tout mon coeur, n’en est pas moins le seul obstacle qui ébranle ma foi en vous, qui l’a même tout d’abord ébranlée jusque dans ses fondements.

Mais je ne veux plus y penser; tiens, je vais me coucher, mes dispositions seront sans doute meilleures demain matin. Bonsoir, chérie; dormez bien, rêvez donc un peu à moi; que les bons anges vous gardent pour moi, bien pure, bien fidèle, affectueuse, bonne & complaisante:

«En attendant, sur mes genoux,
Ange aux yeux bleus, endormez-vous.»

[Troisième [?] folio de deux pages 20 x 26 cm] Il faut à tout prix que vous m’aimiez davantage & que vous soyez heureuse par cet amour; car moi je vous aime de plus en plus & votre affection fait toute ma joie. Et pourtant, laissez-moi vous le dire, si la pensée de vous voir affligée, n’était pas pour moi un véritable supplice, loin de regretter cette soirée, j’en serais enchanté. C’est que, voyez-vous, j’ai découvert tant de belles qualités chez vous, grâce à ce malentendu; j’y ai senti tant de bonté, tant de tendresse & tant de douceur que je suis tenté de m’écrier «O! heureuse faute!» Attala, ma bien-aimée, votre coeur est un trésor inestimable, dont la possession seule suffit pour rendre un homme heureux; je vous savais déjà aimable, bonne & gentille, je vous dis maintenant que vous êtes admirable. O! comme je vous crois lorsque vous dites que vous saurez vous dévouer au bonheur de celui que vous aimerez, que vous choisirez pour compagnon de votre vie, comme je comprends la douceur qu’il y aura dans votre compagnie; comme je suis sûr que vous serez une femme modèle, épouse affectueuse, empressée, caressante. Redites-moi que c’est entre mes mains que vous confiez votre bonheur, que c’est à moi que vous vous donnez dès maitenant, pour la vie! Lorsque je vous entends me dire que c’est en moi que vous chercherez celui qui doit vous consoler de la perte de cette mère que vous aimez tant, mon âme est inondée de joie. Mon coeur est fier de cette preuve de confiance; de toutes mes forces je travaillerai à m’en rendre digne.

Oui, oui, reposez votre tête fatiguée sur mon coeur, tout enflammé de vous, tout dévoué à votre félicité. Chère, chère Adorée, oui, je ferai tous mes efforts pour hâter l’heureux moment où je pourrai enfin vous presser dans mes bras & m’écrier: «Enfin, elle est bien à moi!» N’oubliez pas que de votre côté vous pouvez peut-être autant que moi pour atteindre ce résultat, tant par vos prières ardentes & pures, par vos communions fréquentes, que par votre tendresse infatigable. Ah! dès que je crains de vous perdre, tout mon courage m’abandonne, l’étude me dégoûte, la vie m’est à charge, mais à peine ai-je senti un souffle de votre tendresse que mon énergie renaît, redouble, me soutient. Ma bien-aimée, mon adorée, mon Attala chérie, aimez-moi bien, je ne vis que de votre amour & pour votre amour; aimez-moi de plus en plus; oubliez que je vous ai affligée pour ne penser qu’à mon amour qui va toujours croissant, pour ne penser qu’à ma ferme résolution de ne plus jamais vous faire pleurer; ou plutôt je veux vous faire encore verser des larmes, mais des larmes de joie. Écrivez-moi pour lundi, je vous en conjure, votre fidélité à m’écrire est la seule marque de votre affection quand je suis loin de vous; si vous la négligez comment voulez-vous que je puisse me livrer ardemment à l’étude. Chère Attala de mon âme, ne m’en voulez pas, si je termine ici ma lettre: j’ai tant d’ouvrage; mais vous savez que je vous adore; que ma joie, mon bonheur ma vie dépendent de votre amour. Attala, Attala, je suis à vous, en toute propriété; ne m’abandonnez pas; donnez-moi ce trésor inestimable de votre coeur; nul ne l’appréciera autant que moi, nul ne l’aimera comme moi; nul ne vous sera plus dévoué, plus aimant, plus caressant que

Votre Émery qui vous adore.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
Révisé le 22 juillet 2019
Ce site a été visité 29281654 fois
depuis le 9 mai 2004