- L'année 1900: son discours du Memorial Day à Richford, Vermont
Le résultat de son discours au G.A.R. pour le Memorial Day de 1899 fit qu'on lui demanda de donner celui de l'année suivante devant le commandant du G.A.R. de l'état du Vermont à Richford.(33)
Encore une fois, il donna un discours très bien senti, répondant à toutes les attentes des vétérans. Il débuta en faisant remarquer que par le 30 mai la Nature s'était refait une beauté, que le Printemps était la saison des amours, que cette cérémonie de fleurir les tombes des camarades morts était une expression d'amour mais aussi de peine face à la perte que leur mort avait entraînée.
Il remercia alors ses compagnons de l'avoir invité à parler et affirma qu'il était loyal face à ce devoir et sincère dans ses paroles.
Il reprit alors ce sentiment que les morts étaient encore présents en esprit et actifs dans leur cimetière, et inspirant dans les survivants l'obligation d'enseigner à la génération montante les vertus d'héroïsme, de dévotion et d'amour de la patrie.
Il se lança alors dans une étude des causes de leur lutte pour la patrie, de la défense de la république avec son idéal que "tous les hommes sont nés égaux". Il en profita pour reprendre les mots mêmes du président Lincoln lors de l'inauguration du cimetière de Gettysburg.
Il reprit alors le thème que les alliés des Confédérés
étaient les régimes autocratiques et que les alliés de l'Union étaient ceux qui croyaient aux droits du peuple et qui étaient vrais démocrates. Il ajouta: "Ces jours-là comme aujourd'hui, il y avait dans notre Canada libre, des gens du peuple avec de forts bras et des coeurs vaillants qui ne considérèrent pas qu'il était déloyal à leur pays de fournir une aide amicale pour la défense du peuple et de l'humanité, et qui se sont joints avec entrain à leurs frères américains. J'étais, ainsi que plusieurs autres dont vous connaissez les noms, parmi eux, camarades. Entraînés par l'enthousiasme de notre jeunesse, nous avons combattu et versé notre sang pour la cause sacrée du peuple et pour l'abolition de l'esclavage; et une fois la lutte sanglante terminée, nous somme retournés chez nous, fiers d'avoir contribué au triomphe de la liberté et au maintien du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple."
Il rappela ensuite que 140 ans plus tôt avait été créé un pays basé sur l'égalité des hommes. Tout citoyen américain se savait égal à tout autre. Il parla ensuite des limites démocratiques de la république romaine, puis de celle de Venise, notant que c'est la république américaine qui la toute première fut réellement démocratique. Évidemment le passage de la monarchie constitutionnelle anglaise avec son Parlement à la république américaine sans classe fut un passage relativement aisé, mais nouveau tout de même.
Il examina ensuite la Révolution française par laquelle furent éliminés les pouvoirs et privilèges des aristocrates et du roi qu'il examina avec soin, montrant leur absurdité et leurs dangers extrêmes. Il mentionna le cas de Latude, emprisonné et isolé dans la Bastille par une "lettre de cachet" pendant 30 ans, que ce traitement avait rendu fou.
Avec une vigueur et un sens dramatique remarquables il évoqua le peuple français se révoltant contre ce régime terrible et prenant la Bastille. Les têtes couronnées de l'Europe se portèrent à la défense de la noblesse française, mais les gens du peuple se portèrent avec succès à la défense de la république. Évidemment la république fut après un temps conquise par l'Empire et la gloire militaire, mais le principe de l'élection d'une chambre législative élue par le peuple fit son chemin tout autant que celui des droits de l'homme.
La sécession des États confédérés de ceux de l'Union était un danger pour la démocratie en Amérique car cette division affaiblissait chacune des deux républiques restantes, les rendant plus vulnérables à des attaques futures. La restauration de l'ensemble précédant la sécession était nécessaire pour assurer la survie de l'ensemble: l'union fait la force. Il reprit ensuite le cas de la république du Mexique attaquée mais qui sut se défendre parce qu'elle était unie.
Il reprit à nouveau les thèmes qu'il avait abordés dans ses discours précédents, mais insistant surtout sur le cas de l'esclavage, ce marché de chair humaine. C'est alors qu'il mentionna les exhortations du capitaine de sa compagnie F du 76ième N. Y. à propos de ses êtres humains, hommes, femmes et enfants vendus et achetés séparément ou en bloc comme de la marchandise, une chose ignoble, horrible et indigne.
Il insista sur le fait qu'abolir l'esclavage était raison suffisante de faire la guerre, un mal terrible en soi. Il continua à développer les thèmes qu'il avait déjà abordés à plusieurs reprises, mais termina avec un paragraphe des plus touchants: "Mais au dessus de tout, donnons notre plus grande gratitude aux humbles combattants qui ont tout sacrifié, leur nom comme leur vie, sur l'autel de leur pays. Ah! Personne ne peut parler avec plus en connaissance de cause que moi de leur abnégation et de leur dévotion à leur pays. Dans ces terribles prisons du Sud où j'ai passé plus d'une année de ma vie, j'ai vu des centaines d'entre eux mourir sans un murmure, eux dont les noms après leur mort n'ont été ni notés ni chéris. Que leurs cendres reposent en paix, et que leurs âmes soient bénies pour toujours. Ils sont morts, mais c'était pour la cause de leur pays et si, comme je crois, il est vrai qu'il y a quelque part au-delà de la tombe un endroit de paix et de récompense pour les bons et les vaillants; il doit y avoir aujourd'hui une augmentation de leur bonheur à savoir que leur sacrifice et leur dévotion n'ont pas été oubliés, et qu'une fois par année il y a à travers tout le pays un jour pour honorer leur mémoire, un jour où la gratitude universelle d'une grande nation affirme avec force qu'ils ne sont certes pas morts en vain."
- L'année 1901: L'avenir des Canadiens Français, article du 4 février
Le 4 février 1901, Henri Césaire écrivait un article pour le journal Monde illustré à la demande de son rédacteur. La question que posait ce dernier était: "Qu'adviendra-t-il de la race Canadienne Française en ce XXe siècle? Restera-t-elle unie, forte, homogène... ou se fondra-t-elle dans le pan-américanisme?" (34)
Il débuta en cherchant à établir quelle serait alors la situation politique en Amérique du Nord. Il jugea d'abord que la République américaine resterait unie. Son argument se résuma ainsi: "ce qui les a unis, et ce qui dans l'avenir continuera de les maintenir dans leur union, ce sont les grands principes de la démocratie, à savoir: la "Liberté", l'"Égalité" et la "Fraternité", principes que tous sont fiers de professer et pour le maintien desquels il n'y a pas un citoyen américain qui ne serait prêt à sacrifier sa vie. Pour cette raison, je n'entrevois aucune cause de désunion qui pourrait, un jour, amener une dislocation de la République ou un morcellement de son territoire."
Il jugea ensuite que la dissolution de l'Union canadienne était également improbable et estima que le Canada ne tomberait pas sous la domination américaine puisque l'Angleterre tenait au maintien de son Empire. Il admit que le Canada deviendrait davantage indépendant mais resterait lié à l'Angleterre.
Ces situations futures établies il chercha ensuite à répondre à la question elle-même. Il jugea que les Canadiens français seront plus canadiens, "plus unis à leurs compatriotes de langue anglaise; mais dans cent ans d'ici ils seront encore des Canadiens-français, c'est-à-dire des Canadiens parlant la langue française et fidèles à leur origine, à leur institution, à leurs lois et à leur religion."
Il ajouta alors: "L'union des races, (je ne dis pas la fusion, je ne la crois pas possible), mais l'union des Franco-canadiens et des Anglo-canadiens, voilà l'avenir que je prévois et que je souhaite à mon pays pour le bonheur des générations qui suivront. Les Canadiens-français resteront Français pour eux-mêmes et non pour le compte d'aucun autre pays, mais avant tout seront Canadiens. Or, qu'est-ce qu'un Canadien? C'est un homme qui est né dans un pays libre et qui a grandi sous l'égide des institutions démocratiques. C'est un homme qui révère le drapeau du Grand Empire qui le protège et dont les couleurs flottant au-dessus de sa tête sont comme un emblème, un signe d'alliance et de ralliement entre lui et tous les peuples qui vivent sous la même protection. C'est un homme qui sait que son titre de citoyen britannique est pour lui comme un talisman qui lui assurera le respect de tous, en quelque pays qu'il se trouve. C'est un homme qui sent qu'il peut braver partout la tyrannie, l'injustice et la persécution, parce que derrière lui se trouvent toutes les forces de l'armée et de la marine du grand Empire anglais pour le protéger et faire mordre la poussière à ses oppresseurs. Or, tout cela nous vient de la vieille Angleterre. Il est bien vrai que notre langue est celle de la France, mais nos moeurs, nos habitudes, nos goûts, notre éducation politique et sociale, notre amour passionné et intelligent pour la vraie liberté sont autant de choses qui sont le résultat de notre contact journalier avec nos concitoyens de langue anglaise."
Il ajouta un proviso fort important: "Dans le but de resserrer les liens d'amitié et de rendre plus intenses les sentiments de sympathie qui nous unissent à nos compatriotes anglais, dans le but de donner à nos enfants les mêmes chances d'avancement que celles qui se trouvent à la portée de nos concitoyens de langue anglaise, et surtout dans le but de conserver à notre Province sa part de légitime influence dans la grande famille canadienne, nous sentons qu'il faut faire apprendre aux générations qui grandissent la langue de la majorité."
Il alla encore plus loin:". La connaissance de la langue de la majorité rendant plus faciles et plus fréquentes les relations entre les habitants des diverses provinces de la confédération, il en résultera, qu'en se connaissant mieux, les uns et les autres s'estimeront davantage. Les préjugés de race et de religion disparaîtront rapidement pour faire place à la tolérance et à un sentiment de générosité mutuelle. Toutes les nationalités seront confondues dans la nationalité canadienne. On n'en reconnaîtra pas d'autres et on n'en souffrira pas d'autres. Les Canadiens, reconnus pour leur bravoure sur les champs de bataille et par leur esprit de paix et de conciliation dans leurs relations intestines, admirés à cause de leur instruction et de leur progrès dans l'agriculture, les arts et les sciences, seront partout cités comme un peuple modèle et l'un des plus florissants et des plus heureux de la terre."
- L'année 1901: son Discours à la Louisiane française prononcé à Buffalo le 21 août
Henri Césaire fut également invité à donner un discours à Buffalo aux Louisianais le 21 août 1901, jour qui leur avait été réservé par les organisateurs de l'Exposition pan-américaine.
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Après avoir remercié les organisateurs de l'avoir invité si généreusement, il s'adressa à ceux qu'il appela "mes compatriotes Lousianais."
Il débuta en parlant de Robert Cavelier de Lasalle, qui, parti de Lachine, découvrit la Louisiane, puis de plusieurs autres. Il fit alors le rappel des actes héroïques accomplis ensemble par Louisianais et Canadiens-Français sous le drapeau de la France. Puis il mentionna les "Tigres de la Louisane", qui réussirent une trouée dans les rangs des troupes de l'Union à Gettysburg, ceci pour se faire ensuite encercler, et qui se battirent jusqu'au dernier homme, refusant de se rendre comme la vieille garde à Waterloo.
Il termina son discours en affirmant que le fait français demeurera en Louisiane comme il demeurera au Canada.
- Les années suivantes
Le 16 juin 1902
Henri Césaire fut assermenté par le juge en chef,
Sir Melbourne Tait, comme juge de la Cour Supérieure pour le
district de Beauharnois. Il allait avoir 60 ans en septembre. Il siégea pour la première fois le lendemain, le 17 juin. Il remplaçait alors de l'honorable juge
Louis Bélanger
qui venait de prendre sa retraite. (36)
Le 11 octobre 1902 eut lieu à Cortland la trente-quatrième réunion du 76ième New York Volunteers, le régiment américain dont Henri Césaire avait fait partie.
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Il y alla pour la première et, à ce que je sache, la dernière fois de sa vie.
C'est lui qui donna le discours principal de la journée. Il affirma alors qu'il s'était engagé sous l'alias de Louis Henry et dit qu'il entendait écrire un compte-rendu de sa capture et de son escapade. N'ayant fait partie du régiment que pendant quelques mois, il n'y rencontra qu'un seul membre qu'il avait connu, le sergent Orrin Burton, qui avait fait partie de la compagnie F tout comme lui.
Le 11 novembre 1902, Henri Césaire reçut des mains du comte Mazza, représentant du roi d'Italie, la Croix d'Officier de l'Ordre de la Couronne d'Italie, en reconnaissance des services rendus aux membres de la colonie italienne de Montréal.
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Il publiait le 26 février 1903 dans le National Tribune le texte intitulé The Devil at Andersonville: an anecdote from the Andersonville Stockade. (39)
Cette anecdote plutôt amusante est celle de l'apparition d'un "diable" du milieu du feu de camp autour duquel se trouvaient de jeunes gardes sudistes terrifiés: ce qu'ils virent réellement fut un prisonnier dont le tunnel d'évasion déboucha par hasard au beau milieu de leur feu de camp, se dressant debout, noirci et hurlant de douleur sous l'effet de ses brûlures. Leur effroi amusa beaucoup les prisonniers ainsi que les autres gardes, qui ne se génèrent pas pour se moquer d'eux.
Le 14 mai 1906 sa fille Annette maria en la chapelle du Sacré-Coeur de l'église Saint-Jacques Lorenzo Bélanger, veuf de Léonie Bertrand et fils de Elzéar Bélanger et de Émélie Hamel. Parmi leurs petits-enfants se trouve Suzanne Bélanger Montel.
Le 28 avril 1908, son fils Guillaume Saint-Pierre, alors reçu avocat, maria en la chapelle du Sacré-Coeur de l'église Saint-Jacques Émilienne Bélanger, fille de Ernest Bélanger et de Diana Hamel (ces parents sont respectivement frère et soeur des parents de Lorenzo Bélanger). Je suis un de leurs petits-fils et ma cousine germaine Odile Malépart est une de ses petites-filles.
Le samedi 19 décembre 1908 à 16 heures, son épouse Albina mourut à l'hôpital Notre-Dame à la suite d'une opération sérieuse. Elle y avait été transporté le jeudi précédent. Elle n'avait pas encore 56 ans.
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Le 18 janvier 1909 sa fille Juliette Saint-Pierre maria en la chapelle du Sacré-Coeur de l'église Saint-Jacques l'avocat Alex Prud'homme, fils de Alex Prud'homme.
Le 22 mars 1909, Henri Césaire devenait juge de la Cour
Supérieure pour le District de Montréal en remplacement du juge Michel Mathieu. Le 14 juin 1909, dans la chapelle du Sacré-Coeur de l'église Saint-Jacques son fils Gerges Bernardin Saint-Pierre, alors ingénieur, maria Hélène Almira Sauvé dite Laplante. Ceux-ci emménagèrent dans la maison paternelle. Parmi leurs petits-enfants se trouve Janice Saint-Pierre Westfal.
Au début d'octobre 1909, Henri Césaire fit don au Palais de Justice de Montréal d'un tableau, don conditionnel à ce qu'il soit placé dans la salle d'audience de la Cour Criminelle. Ce tableau était
un portrait de lui en pied. (41)
Le rôle de juge ne porte pas d'ordinaire à contreverse; les jugements au civil sont basés sur le Code Civil et au criminel, il s'agit plutôt d'instructions au jury. Il y a évidemment la conduite des procès qui est sous sa gouverne mais rarement un juge fait-il parler de lui autant qu'un avocat crminaliste dont le plaidoyer est souvent crucial et pour lequel Henri Césaire s'était préparé comme un acteur pratiquerait son rôle: il examinait même l'effet de chaque geste dans un miroir afin de s'assurer d'obtenir l'effet désiré, selon mes grands-parents.
Il reste qu'un jugement avait fait couler beaucoup d'encre et même a été pris à partie encore une fois il y a quelques années: son jugement dans l'action de Madame Langstaff contre le barreau de la Province. (42)
Son jugement dans cette cause fut donné en février 1915.
Madame Langstaff était une jeune femme qui avait travaillé dans le bureau d'avocats de Jacobs, Hall, Couture & Co. et de là avait réussi ses cours de droits à l'Université McGill avec honneur. Aussi voulut-elle devenir avocate; ce qui exigeait admission aux examens du Barreau, ce qui lui fut refusé. D'où son action contre le Barreau.
Le point principal en litige était le suivant: le Code Civil permettait-il aux femmes de pratiquer le droit ou non? Le masculin utilisé dans le texte de la Loi était-il général comme dans bien des instances dans la Bible ou restrictait-il la profession aux hommes? Il jugea que le Code Civil utilisait le masculin dans le second sens; ceci basé sur le fait que le Code Civil n'accordait pas aux femmes mariées, comme dans le cas de la demanderesse, le droit d'être tutrice sauf dans le cas de leurs enfants et encore seulement sous la supervision d'un sous-tuteur; que la Loi Salique excluait les femmes de l'ordre des avocats; que le Common Law britannique faisait de même; que lorsque la Loi fut passée au Québec seuls les hommes pouvaient être admis au Barreau et que la Loi n'avait eu comme but que de codifier ce qui existait alors; et que jusqu'à ce moment personne ne s'y était objecté.
Ceci dit, il ajouta également que les femmes ne devraient pas exposées aux affaires sordides avec lesquelles un avocat doit composer.
Son jugement ne fut pas bien reçu par les féministes du temps. Ce qui l'amena à dire que les femmes n'étaient pas aptes à devenir avocates si elles ne pouvaient pas saisir ses points de loi. La Cour d'Appel lui donna d'ailleurs raison. N'oublions pas que le rôle du juge est de voir à appliquer la Loi telle qu'elle est
écrite, et non pas de la réécrire.
Henri Césaire demeura au 144 Berri même après la mort de son épouse, et son fils George Berardin s'y installa avec son épouse. Quand, vers 1912, ce dernier déménagea en Ontario, Henri Césaire s'installa au 2330 avenue du Parc.
C'est là qu'il mourut le 8 janvier 1916 à 19:50 heures d'un cancer à l'estomac.
- Ses dernières semaines
À la fin de novembre 1916, sachant ses jours comptés, Henri Césaire demanda un congé de six mois. Il fit
seul dans ses robes de juge une dernière tournée du Palais de Justice, puis nettoya son bureau et rapporta ses effets à la maison. Sa carrière était terminée. (43)
Ce n'est que peu de temps avant Noël qu'il avertit sa famille de sa fin imminente. Stoïque, il attendait la mort debout, sans se plaindre. Celui-ci
était un homme fier, qui n'avait pas peur de l'adversité, et qui n'acceptait pas qu'on bafoue son honneur: "Il ne l'emportera pas en Paradis.", disait-il alors, les dents serrés, selon ma grand-mère.
L'après-midi de sa mort, alors qu'il avait dû s'alliter puisque son état était devenu critique, des membres de sa famille demandèrent pour lui les derniers sacrements. L'archevêque de Montréal lui-même, Monseigneur Bruchési vint avec sa suite pour les rites. Ce dernier aborda le mourant avec les mots: "Repentez-vous!" Le mourant lança aussitôt vers sa fille Annette un regard qui lui ordonnait de mettre l'évêque et sa suite à la porte. Celle-ci lui répondit par un regard qui le suppliait d'accepter. Comme il adorait celle-ci et aimait ses enfants par-dessus tout, il laissa faire. Et, comme l'annonça les journaux, il reçut les "suprêmes consolations de l'Église." (44)
Pour quelle raison l'évêque lui-même vint-il n'est pas claire. Mais on trouva son tablier de franc-maçon après sa mort. (45)
Parmi les éloges faites dans les journaux après sa mort,
on note: "Comme avocat criminaliste, M. Saint-Pierre avait acquis une grande célébrité en figurant avec succès dans nombre de causes retentissantes. Il a été un ornement pour sa profession et a fait briller, dans la magistrature, les plus hautes qualités du coeur et de l’intelligence. Doué d’une sensibilité étonnante, mais admirable, il savait compatir aux détresses que ses fonctions d’avocat ou de juge lui faisaient découvrir, et maintes fois, devant le malheur, il a su tempérer les rigueurs des lois inexorables. Il fut un juge humain, et sa mort affligera les justiciables ainsi que tous les infortunés qui ne s’adressaient jamais en vain à sa charité compatissante. Au début de la guerre, il s’était inscrit comme membre à vie de la société Canadienne de la Croix-Rouge, et il occupait un poste élevé dans la direction de la section de cette société établie dans le nord de la ville." (46)
Dans La Presse du dix janvier 1916 on pouvait lire en première page: "Et puisque les exemples donnés par ceux qui ne sont plus doivent servir de guides aux survivants, disons tout de suite que la vie du défunt mérite d'être imitée, au moins sous deux aspects: l'éducation et le patriotisme. Malgré qu'il ait eu des préférences indiscutables pour la langue française, l'Hon. juge Saint-Pierre avait une éducation anglaise parfaite. Il était d'opinion qu'un vrai Canadien doit, autant que possible, s'appliquer à maîtriser les deux langues officielles. Pour lui, la connaissance des deux langues était un moyen indispensable pour maintenir les bonnes relations entre les deux grandes races de notre pays. Quant à ses tendances humanitaires et à son patriotisme, ils sont déjà trop connus pour qu'il soit nécessaire d'en faire mention... Il n'y a pas longtemps encore, à l'occasion de la guerre actuelle, on l'entendait faire, du haut de son fauteil judiciaire, un vibrant appel au patriotisme canadien en faveur de la cause de l'humanité et de la civilisation." (47)
Henri Césaire fut donc accueilli au cimetière Notre-Dame des Neiges le 11 janvier 1916. Son acte d'inhumation est quelque peu révélateur de l'homme: il y est nommé "L'honorable Henri Césaire Berrier Saint-Pierre, Juge de la Cour Supérieure & veuf de Dame Marie Adéline Albina Lesieur". Parmi les gens qui ont signé se trouvaient deux de ses fils, encore une fois surnommés "Berrier Saint-Pierre". Or très rarement utilisait-il le nom de "Berrier", ce qui est parfaitement normal puisque ce nom n'existait pas dans la famille: ceux-ci étaient originellement des "Brayer dit Saint-Pierre", le "Brayer" étant orthographié de plusieurs façons fort différentes. Or le défunt n'aimait pas du tout ce nom, et l'avait tout simplement modifié en "Berrier", un nom qui était connu et qu'il préférait. Aussi est-ce sur ce nom qu'il fut inhumé au cimetière. Il s'était également rajeuni de deux ans, mais la famille était au courant de ce subterfuge et son âge, 73 ans, est consigné correctement dans l'acte.
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- Mystère au cimetière
Henri Césaire avait acheté conjointement à la mort de son beau-père Louis Adolphe Lesieur en 1894 un terrain au cimetière Notre Dame des Neiges, soit la concession 430 de la section O, terrain qui fut alors divisé en deux: il prit possession de la concession 430 D alors que les Lesieur prirent la concession 430 G. Son épouse Albina ne fut pas inhumée dans son lot mais bien dans celui de ses parents. Henri Césaire fut reçu au cimetière le 11 janvier 1916 mais ne fut inhumé dans son terrain que le 24 avril, une fois le sol dégelé. Un monument s'y trouve d'ailleurs notant ce fait. Mais ceci n'est pas la fin de l'histoire: le 11 mai 1918, il fut exhumé de son terrain et inhumé dans la concession 962 de la section H, terrain acheté par un Charles Ferdinand Meunier en 1888. Mais il y a plus: Fernand Perras, un enfant de trois mois et demi accueilli au cimetière le 12 janvier 1916, le jour après l'arrivée de notre homme, et inhumé le 21 avril 1916 dans une petite fosse, fut également exhumé et inhumé le même jour dans le terrain où fut transféré Henri Césaire le 11 mai 1918. (49)
Les exhumations et transferts de corps requiéraient alors, tout comme aujourd'hui, un jugement de la Cour Supérieure. Il s'ensuit que ce jugement a dû être prononcé. Ce jugement a dû être à la suite de requêtes faites en bonne et due forme à la Cour. Malheureusement le cimetière n'a pas ces documents et la raison de ces transferts est inconnue à ce jour.
Non seulement Henri Césaire a-t-il eu une vie fort bien remplie, mais également une vie de mystères.
- Épilogue
C'est donc sur notre faim de savoir que cette biographie se termine. Celle-ci, avec un peu de chance, pourra être complétée plus tard, au fur et à mesure que des faits nouveaux feront surface. Tout travail comme celui-ci est forcément incomplet; cela est inévitable. Tout ce que j'espère, c'est de m'être bien basé sur les faits et d'avoir évité les erreurs trouvées ailleurs à son sujet.
Un tout dernier point: mes grands-parents étaient tous des grands catholiques; tous pratiquaient leur religion avec ferveur. Cela n'a jamais empêché mon grand-père Guillaume Saint-Pierre de vénérer son père qui non seulement était un grand homme, mais un père aimant et dévoué, un humaniste, un homme de bien. Qu'il ait eu ou non une maîtresse, comme me l'a affirmé ma tante Denyse Saint-Pierre Normandeau, ne change rien au reste.
Montréal, le 31 janvier 2011
Centième anniversaire de la naissance de mon oncle Marcel Malépart,
époux de Madeleine Saint-Pierre, fille de Guillaume Saint-Pierre